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réjouiront, à la pensée que, l’instituteur et le curé s’étant mis d’accord pour « enseigner les enfants, » ceux-ci seront plus sages. Ils songent toujours au parti qu’on peut tirer des choses telles qu’elles sont.

Ils ne se tourmentent guère ni de la morale, ni de l’école, ni de l’église : tout chez eux en ce moment disparaît sous la poussée débordante d’un matérialisme pratique, plein de joie. Il est alimenté par l’argent dont la guerre gonfle leurs poches. Son abondance met une telle plénitude dans l’âme qu’il n’y a pas place pour autre chose. Il nous faut insister ici sur le rôle de l’argent : on va voir qu’il est à la fois nocif et bienfaisant.


IV

Si bien des gens s’intéressent à la pensée religieuse des paysans, tout le monde s’inquiète de leurs dispositions à l’égard de la terre. Bonnes, elles ne peuvent manquer d’adoucir le prix de nos déjeuners ; les difficultés continueront dans le cas contraire. Si le problème est là tout entier, qu’on se rassure. A peine démobilisés, les hommes ont repris la charrue et tout le monde laboure avec un entrain superbe.

Les craintes étaient permises. L’argent a tout arrangé. C’est lui, l’incomparable magicien, qui a donné du courage aux femmes pour maintenir les chantiers et protégé les hommes contre toute tentation de ne s’y point remettre. A qui sait et veut labourer fort, la fortune arrive vite maintenant, et si belle qu’on serait fou de vouloir faire autre chose. L’enrichissement a commencé dès la seconde année de la guerre, et il n’a cessé de progresser. Les paysans sont riches ; il suffit de lire les mercuriales pour s’en douter.

On a dix mille francs de revenu net, en fruits, légumes et primeurs, sur cinq hectares de terre, bien travaillés, dans les alluvions de la Garonne ou du Lot ; vingt-cinq mille, en céréales, vins et bestiaux, sur une métairie de trente hectares, dans le coteau, intelligemment conduite ; si la vigne y remplace les céréales, il faut doubler ou tripler le chiffre[1]. Voici des paysans qui plantèrent quinze hectares d« vignes, sur une terre incomplètement payée ; trois années de grêle coup sur coup

  1. Il s’agit d’exploitations dans lesquelles tout le travail est fait par la famille, avec peu ou point de main-d’œuvre salariée.