ressources, veulent élever un monument à leurs morts. Dans l’une, le curé réunit péniblement cinq cents francs, dans l’autre, six mille. Le premier est un vieillard respecté, très pieux, qui ne sort pas de ses formules mystiques ; le second, parti sergent, est revenu capitaine et chevalier de la Légion d’honneur. La guerre a tout changé. Le fond de la vieille chanson doit rester immuable, mais il y faudra mettre une musique et quelques paroles nouvelles, si l’on veut qu’elle soit entendue. N’est-ce pas déjà du nouveau que, dans certaines cérémonies commémoratives, les chants sacrés alternent avec la Marseillaise !
Quittons ces plans profonds, où les documents manquent, pour des choses plus accessibles. Comment ce paysan, qui s’est si bien battu et ne va pas à la messe, accueillerait-il une campagne de politique antireligieuse ? Des hommes compétents, et de tous les partis, ont été consultés : ils sont unanimes à croire qu’en ce moment, à moins de fautes lourdes de la part du clergé, une pareille campagne dans nos villages « ne ferait pas ses frais » Décidément l’affaire est usée et les regards tournés ailleurs. L’idée se répand de plus en plus que chacun doit pouvoir faire ce qu’il lui plait. La pensée moyenne, courante, très simple, des paysans pourrait se traduire ainsi : à quoi bon « embêter les curés qui ne vous embêtent pas », gens pauvres et sans pouvoir, dont on a besoin à la naissance, au mariage, et surtout pour se faire enterrer. Rien ne choque l’âme paysanne comme un enterrement civil, survivance de la primitive horreur de l’homme pour le trépas sans sépulture, sans l’apaisement des rites funéraires que les morts à travers les âges n’ont cessé d’attendre de la piété de leurs parents. Et puis, les curés sont allés à la guerre et y ont fait bonne figure. Les hommes ont été soignés par beaucoup d’infirmières, dont ils parlent avec reconnaissance ; mais toutes les fois que la comparaison a été possible, ils ne cachent pas leur préférence pour les « sœurs. » Menus propos, choses de rien, légers indices d’un certain courant de pensée.
Les paysans ont voté volontiers pour les partisans du maintien des lois laïques, mais toute la laïcité se réduit pour eux à ce seul point très ferme que les curés ne soient pas maîtres au village comme autrefois, et ils se moquent du reste. Que demain, par exemple, on décide d’appuyer l’enseignement de la morale à l’école sur l’idée religieuse, loin de protester, ils s’en