Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/488

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fin, la victoire, le retour définitif, après les journées inoubliables de Metz et de Strasbourg, après avoir poussé jusqu’à Mayence, où l’on a laissé les jeunes pour monter la garde sur le Rhin. Voilà le prodigieux enrichissement de l’idée de patrie, clairement pensée et même formulée. En 1ç14, les paysans sont partis, héritiers d’une richesse morale, patriotique et guerrière, qu’ils ne soupçonnaient pas : que dire de l’héritage qu’ils vont laisser à leurs successeurs ? L’idée de patrie peut être vulnérable, en tant qu’idée claire ; elle ne l’est pas dans les profondeurs de l’âme, où elle se lie à tout le jeu de l’instinct de vie. Celui-ci, qui a besoin d’elle, prend ses précautions pour la mettre à l’abri des entreprises de l’idéologie. On peut être rassuré sur son avenir.

L’idée de patrie est donc en progrès. Peut-on en dire autant de l’idée religieuse. Elle ne fut jamais ici profonde, souveraine comme ailleurs, et cela tient à la race elle-même, pratique, réaliste, éloignée du rêve, prompte à fronder. N’empêche qu’il y a soixante ans à peine, la religion donnait aux âmes une armature extérieure protectrice, une discipline intérieure bienfaisante. Le sentiment religieux s’est affaibli peu à peu, pour des raisons diverses, se retirant de la surface au point de n’être plus senti dans le train journalier de la vie, y laissant à sa place une croûte épaisse d’indifférence, parfois hostile. Sur tout cela soufflait un vent auquel on savait le Prince favorable. Les paysans sont ici très sensibles à la pensée du Prince.

La guerre éclate, et, à la violence du choc, la croûte craque et se fissure ; la vieille imprégnation religieuse, remontée des profondeurs, apparaît sur une foule de points. Dans une commune, réputée pour ses opinions avancées, le dimanche 3 août 1914, le curé monte en chaire et dit : « Demain matin, je pars à sept heures avec les camarades. Mais, à l’aube, je dirai la messe pour les partants, qui vous sera annoncée par la sonnerie de l’Angélus. Je les prie d’y venir avec leurs parents et amis. » L’église fut comble. Dans la première année de la guerre, la plupart des paysans marquèrent dans leurs lettres la préoccupation religieuse, même alors qu’on s’y pouvait le moins attendre. « Ça me revient souvent, dit l’un, que notre dernier drôle ne soit pas baptisé ; je veux qu’on le baptise. » Femmes et enfants portent tous des emblèmes religieux qu’on ne voyait pas avant. Les tout petits vous montrent leur médaille, en disant : papa, papa. Une