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interrompt le labour, a peine rentré dans la grange, il se met à botteler du foin ou battre une récolte de « menus grains ». S’il va garder les vaches à la prairie, il emporte la pelle pour récurer un fossé, la serpe pour émonder un arbre. Sa vaillance à la besogne lui semble si naturelle, est si bien née avec lui, qu’il n’en tirait aucun orgueil par comparaison. Mais voilà qu’on le force à comparer. Depuis que la guerre est finie, une vague de paresse s’est levée et roule sur le monde des travailleurs, épargnant celui des campagnes. Le paysan s’étonne qu’on veuille travailler moins, alors qu’il le faudrait faire beaucoup plus. Lui, qui généralement, et par prudence, parle peu de politique, cette fois parle beaucoup de la journée de huit heures, qui représente précisément la durée de son repos pendant les travaux de l’été. Bien des gens, dit-il, auraient la ration réduite si l’on ne se tenait que huit heures par jour dans les champs.

Ce n’est pas que les paysans ne soient partisans de diminuer leur peine, et c’est pourquoi ils accueillent avec joie la machine, si secourable. Mais de raccourcir la journée agricole ils voient avec leur sens pratique toutes les difficultés. Elles tiennent à la nature même du travail, étroitement commandé par « le temps qu’il fait, » et à son organisation sous forme d’ateliers familiaux.

Les psychologues du socialisme ne s’embarrassent pas de ces difficultés, sachant qu’une idée n’a pas besoin d’être réalisable pour entraîner l’imagination des hommes : il suffit qu’elle soit simple, grande, belle, surtout image de bonheur, vision de terre promise. N’y a-t-il pas tout cela dans le paradisiaque tableau des moissons blondes, chargées de pain, mûrissant sur des sillons qui ne demandent plus à l’homme que le tiers de son temps entre deux soleils ? Abolie l’antique condamnation qui pesait sur la race d’Adam : ses fils ne mangeront plus leur pain à la sueur de leur front ! Solennelle libération, annonciatrice de bien d’autres !

Laissons cet avenir tout embelli de rêve pour rester dans le présent tel qu’il est sous nos yeux. Les paysans acceptent la dureté de leur vie, très fiers de leur vaillance au milieu du relâchement général, nullement disposés à réduire leur effort au moment où des bénéfices extraordinaires les invitent à le redoubler. Lame paysanne reste égale à elle-même et toujours première, aujourd’hui dans le pacifique labeur qui refait le