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Par une soirée radieuse de juin, la fenaison s’achève autour des grandes charrettes de foins parfumés ; mais, pour faire sortir la prairie des marécages, il fallut jadis régulariser le cours de la rivière, l’emprisonner entre deux digues, creuser un canal de secours, conduire les rigoles d’assèchement à l’écluse, niveler le terrain, le défendre contre les ruisseaux qui tombent des hauteurs voisines. La coupe de chasselas dorés, dont chaque grain semble retenir un rayon de soleil, met la joie sur votre table ; ils descendent d’une vigne, plantée sur des pentes vives et rocheuses, où l’humus fut monté à l’aide de paniers portés sur la tête. Si la moisson pousse drue, à flanc de coteau, c’est que le champ est assaini par un système ingénieux dégoûts souterrains et protégé contre le ravinement par des tranchées et des murs de soutien. L’homme ne peut rien sur les grands reliefs du sol, mais il est maître de sa surface, qu’il modifie et dispose à son gré, en vue des cultures qu’il y veut faire. Sur le dessin ferme, arrêté par l’évolution géologique, il met des traits, des hachures, des couleurs qui donnent au pays son visage, sa physionomie agricoles.

Tout cela c’est l’aménagement cultural, indispensable, d’une valeur immense. S’il s’abolissait subitement dans un cataclysme sismique, le malheur serait irréparable. Sur bien des points du champ de bataille, où le pilonnage l’a détruit, on ne songe pas à le rétablir à cause de la dépense. Il est la pensée paysanne, incorporée au sol de vive force, au prix d’une lutte longue et dure, parfois d’un corps à corps émouvant. L’homme a façonné la terre, et celle-ci le lui a rendu, le marquant de son empreinte qui varie selon que le pays est en bois ou prairies, en vignes ou labours.

Le paysan et la terre vivent en fonction l’un de l’autre, dans une sorte de symbiose, où l’homme domine et commande. Des deux valeurs, il est la première. Sur un sol déshérité le paysan vous fait vivre, et, sans lui, vous mourrez de faim sur les alluvions les plus fertiles. On dit couramment : tant vaut le laboureur, tant vaut le champ, et on entend que l’abondance du grain se mesure à l’énergie du labour. Ce n’est pas assez et il faut aller plus loin : parmi les facteurs qui déterminent la valeur vénale de la terre dans une région, — les inspecteurs du Crédit foncier ne nous démentiront pas, — il convient de mettre en première ligne l’état moral de la population paysanne qui l’habite.

En somme, et c’est là que nous en voulions venir, la grande