l’église, il n’y avait guère que la lande, et derrière l’église, les simples maisons du bourg.
C’est un bourg de terriens : on y compte peu de pêcheurs. Les femmes y portent la coeffe et la belle fraise ailée qui font penser au XVIe siècle ; les hommes, le grand chapeau à boucle et rubans, le bref et massif habit de drap cuir, largement décoré de velours noir. Grand contraste entre cette population et l’étrange humanité bigouden dont les figures épaisses, les yeux obliques (on a dit mongols), les fastueuses broderies dorées étonnent dès qu’on a mis le pied sur l’autre rive. Ce bras de mer demeure une frontière précise entre deux races.
Le « pays » ressemble à tous ceux de cette côte. Au rez-de-chaussée de chaque logis, s’enfonce une chambre basse. Elle est pleine d’ombre, et, généralement, de tout ce qui sert à la vie quotidienne, depuis le bénitier de faïence rouge et bleue, qui s’accroche, avec un brin de buis, aux fleurs ajourées des lits clos, jusqu’aux paquets de sabots, de chandelle et de filin, et trop souvent jusqu’aux alcools multicolores, car la plupart de ces pauvres maisons, où viennent s’approvisionner pêcheurs et fermiers, sont d’abord des débits où les hommes s’attablent devant leurs petits verres ou leurs bolées de cidre, sous les saucissons et les quartiers de tard pendus aux solives. Dans le demi-jour luisent les puissants meubles cirés de châtaignier et de chêne, où le menuisier du pays, indépendant des modèles que la machine copie dans les grandes villes pour toute la France, a ciselé de sa main quelques images du vieux rêve local de beauté. On y voit des entrelacs de vigne, des figures naïves d’oiseaux, des Saints Sacrements qui rayonnent, avec des stylisations du XVIIIe siècle, ou même, du moyen Age. Quelques armoires et lits clos portent, découpées au couteau, des dates très anciennes. Parfois des clous de cuivre en dessinent de récentes : 1885 ou 1890. Ce sont pour toujours les dernières. Nous sommes au moment précis où tout finit à la fois d’un monde qui durait depuis des siècles.
Au bas du bourg, sous les grands arbres de l’église, devant la cale, est la place principale, où les vieux viennent ensemble fumer leur pipe, en regardant le flot ou le jusant courir dans la rivière. C’est un centre d’ancienne vie sociale. Là se tiennent pardons, marchés et feux de joie de la Saint-Jean ; là s’assemblent les processions sous les pesantes bannières qui tanguent,