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HIER ET DEMAIN

II [1]

LE PAYSAN

Ceux dont nous parlons dans ces pages ne les liront pas. Ils lisent peu, labourent beaucoup, gagnent en un an plus d’argent qu’autrefois en dix, et volontiers vous disent que, si tout devient hors de prix, ce n’est pas qu’ils ne travaillent autant et plus que jamais. D’autres vont les lire qui partagent notre souci de la terre nourricière : peut-on en ce moment n’avoir pas ce souci ?

La question de la terre, très complexe, est chargée de matérialités. Nous n’en méconnaissons aucune. Ni les statistiques, hérissées de chiffres, ne nous sont étrangères, ni le fumier, l’engrais et la machine, ni les mille détails de la tenue d’une métairie, ni les lois et usages ruraux, ni le budget du paysan en rapport étroit avec son âme. Au fond, en dépit des apparences, il s’agit d’une question morale. On va répétant que la grande richesse de la France est la fertilité de son sol : nous n’y contredisons pas, à condition de s’entendre. La fertilité agricole d’une terre doit être distinguée de sa fertilité originelle ou, si l’on veut, native : l’une n’est point séparable de l’homme qui la prépare, l’exploite et la maintient, l’autre, due à un heureux concours de circonstances géologiques et climatériques, est une richesse virtuelle et inutile tant que la main de l’homme n’intervient pas pour la rendre effective. Otez l’homme de la terre, la moisson disparait tout de suite, et peu à peu quelque chose se ruine, d’une grande importance, qui est tout l’aménagement cultural du sol. Les initiés nous entendent bien.

  1. Voyez la Revue du 1er mai.