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Mlle Marie Bell qui a révélé une sensibilité très personnelle dans une scène du Mariage de Victorine. Cette jeune fille est l’une des mieux douées, et nous serions surpris qu’il n’y eût pas en elle l’étoffe d’une comédienne.

Ce concours, qui s’est déroulé trois jours durant, matin et soir, a des chances d’avoir été le plus long dont on se souvienne au Conservatoire. A le juger dans son ensemble, on ne saurait dissimuler qu’il a été très médiocre. Nul doute que les ennemis de la maison ne prennent texte de cette médiocrité pour revenir à leur antienne habituelle. « Un enseignement, diront-ils, qui produit de tels résultats, est par cela même condamné. Donnons un coup de pioche dans ces vieux murs, et laissons les artistes se former eux-mêmes : tout enseignement d’école ne sert qu’à tuer l’originalité. »

Le raisonnement n’a rien de nouveau et d’ailleurs il n’est pas particulier au Conservatoire. Les mêmes théoriciens sont d’avis que l’enseignement de l’école des Beaux-Arts est funeste, et qu’on peint beaucoup mieux quand on n’a jamais appris à dessiner. On sait de reste ce que nous en pensons. Faisons seulement remarquer que la question est mal posée. Il ne s’agit pas qu’il sorte du Conservatoire tout un vol d’artistes prêts à s’abattre sur nos meilleures scènes : le rôle du Conservatoire est seulement d’enseigner les cléments de leur métier à ceux qui peut-être, la nature et la volonté aidant, deviendront un jour des artistes.

Or, ce qui manque justement à ces jeunes gens, c’est de savoir ce que le Conservatoire est chargé de leur apprendre. Beaucoup d’entre eux ont déjà la pratique de la scène, ayant joué un peu partout, sur des théâtres d’à côté ou même à l’Odéon. Ils ont de l’habileté, hélas ! Mais ils ne savent pas dire. Et par exemple il n’en est pas un seul qui sache vraiment faire chanter un vers. Pas une fois nous n’avons senti passer en nous ce frisson délicieux qu’y met la caresse d’un beau vers. Nous avons Racine et Victor Hugo, Corneille et Musset, et nous laissons se perdre au théâtre la musique du vers français ! Mais c’est bien de vers et de musique qu’il s’agit ! Ces jeunes gens ne prononcent même pas correctement. Ils disent : Ces emport’ments… Si jaie quelque pouvoir… J’ai longtemps espéré, etc… Faute d’articuler, ils ne se font pas entendre. Plusieurs ont l’accent faubourien, et prononcent poëson et moë-même. Les gestes sont à l’avenant. Et bien sûr on ne leur demande pas d’avoir été élevés sur les genoux des duchesses. Mais c’est affaire au Conservatoire de corriger ces défauts.