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talent, comme Gœthe, Schumann, Wagner, Sainte-Beuve, Michelet, lorsqu’ils veulent bien faire de la critique, autant il est indifférent de savoir que monsieur tel ou tel aime ou n’aime pas telle œuvre dramatique ou musicale. »

Loin de nous en offenser, félicitons-nous bien plutôt de cette indifférence. Elle nous rend plus modeste, mais aussi moins timide et, soulageant nos scrupules, elle assure notre liberté.

« Vu l’importance de l’ouvrage, on commencera à sept heures très précises. » Les communiqués de ce genre nous font toujours peur, annonçant d’ordinaire une soirée un peu longue. Telle fut en effet la soirée où l’on « répéta généralement » la Légende de saint Christophe Ars longa. C’est terriblement vrai de notre art musical aujourd’hui. Que si l’un de nos musiciens compose une sonate, une seule, on s’étonne d’abord, comme d’un miracle, qu’il l’ait composée, et sans doute il arrive qu’elle soit belle : mais, qu’elle dure moins de quarante ou cinquante minutes, voilà qui n’arrive guère. Considérable à tous égards, l’œuvre nouvelle de M. Vincent d’Indy l’est premièrement par la durée. Intermédiaire entre l’oratorio et l’opéra, participant de l’un et de l’autre, l’intervention du récitant l’allonge encore. À mainte reprise, avant, telle scène, ou telle suite de scènes, l’ « historien » paraît et nous dit, à peu près, dans un style seulement un peu moins familier : « Vous allez voir ce que vous allez voir. » et ce que sans lui, sans ses avis préliminaires, nous aurions fort bien vu. Heureux sommes-nous encore qu’il ne reparaisse pas après, et qu’à ses explications préalables ne s’en ajoutent pas de complémentaires et justificatives.

L’histoire, vous le savez déjà, l’histoire, ou la légende de saint Christophe est celle d’une conversion, laquelle s’accomplit par degrés, ou par étapes. Il y avait une fois, autrefois, un géant païen qui s’appelait Auférus. Lorsqu’il atteignit l’âge d’homme, non sans avoir donné, dès son enfance, les signes d’une vigueur extraordinaire, il résolut de se choisir un maître, le plus puissant qu’il pourrait trouver, et de le servir en toute, chose. Il commença par une maitresse, la Dame de Volupté, qui régnait alors à Babylone. Il lui rendit en effet des services variés : de l’ordre militaire, en la délivrant de ses ennemis, et de l’ordre amoureux, car elle apprit de lui, si nous l’en croyons, elle, tous les secrets du plaisir et ceux mêmes de son propre cœur. Sur le dernier point, et plus encore sur l’avant-dernier, il y a dans le texte des indications qu’au théâtre il-était difficile de suivre, ou de réaliser