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Nous avions rêvé d’une clarté rose,
D’un monde aussi neuf que du gazon frais ;
Nous n’avons rien vu qu’une porte close,
Des huissiers bâillant sur des tabourets.

On se mit à table en décembre.
Le brouhaha des intérêts
Parfois s’entendait depuis l’antichambre.

Nous connaissions par les journaux
Le meuble et le tapis, les noms et les figures.
Les points d’honneur nationaux
Avaient leurs petits et leurs grands augures.

L’hiver passa. Chacun disputait sur son lot,
Et les traducteurs de traduire,
Et les machines à écrire
De précipiter leur galop.

Nos illusions s’en étaient allées,
L’encre séchait sur les buvards,
Les marronniers des boulevards
Déjà verdissaient sous les giboulées.

Enfin, l’œuvre accomplie, on apposa les sceaux.
Et la paix sur la terre et la paix sur les eaux,
Cette paix qui de loin semblait si douce à vivre,
La paix n’était plus qu’un gros livre…

Là-bas, sur les talus émiettés par le feu,
Gisent des lambeaux d’uniforme bleu.
L’ancien rempart sacré se déforme et s’éboule ;
Le bras du cicérone entraine une autre foule
A découvert sur les plateaux ;
L’églantier fleurit, le temps coule,
Un cimetière ondule au versant des coteaux.


* * *


Instant de doute, instant de fièvre
Mis à profit par les démons !
Reniement déjà sur ma lèvre,
Tais-toi, tais-toi, nous blasphémons !