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cieusement et lui dit : « Vous faites des correspondances politiques! » Il était trop bien renseigné ! Une autre fois, en Styrie, — Georges Goyau préparait alors son admirable et prophétique article sur l’Allemagne en Autriche, — il va voir un évêque pour l’interroger sur le mouvement du Los von Rom, et lui présente des lettres d’introduction du cardinal Matthieu et du cardinal Kopp. L’évêque croit ces lettres fausses, et le seul service qu’il consente à rendre à son visiteur est… de lui offrir l’aumône. Pareil accueil dans tous les milieux ecclésiastiques de la région. Le voyageur éconduit s’informe, et il finit par apprendre qu’il était le quatrième Français circulant depuis le début de l’année dans ces parages : les trois premiers avaient tué ou assassiné, et l’un d’entre eux avait même dévalisé la cassette épiscopale.

Georges Goyau n’a jamais dévalisé que des bibliothèques. Ses matériaux une fois réunis et classés, il les met en œuvre avec un art savant et ingénieux qu’il faut essayer de définir. Il consiste essentiellement à laisser parler les faits. Par des citations habilement amenées, par des analyses, des résumés, des réflexions adroitement groupées et enchaînées, l’historien donne l’impression que les événements qu’il raconte, baignés en quelque sorte dans une calme atmosphère intellectuelle, se déroulent successivement sous nos yeux. Et il y a dans son ton une telle sérénité, une si évidente probité, un si manifeste désir de ne rien déguiser de la réalité, un tel besoin d’impartialité à l’égard même des doctrines ou des hommes qui lui sont le plus profondément antipathiques, que le lecteur se sent bien vite en confiance, et qu’il ne tarde guère adonner son adhésion. — Est-ce à dire que les jugements portés par l’écrivain sur les faits, les idées ou les personnages dont il retrace l’histoire ne se ressentent jamais de ses convictions propres ? Ce serait l’avoir bien mal lu que de le prétendre. Quand il parle des hommes dont la vie et la pensée lui sont chères, insensiblement son ton s’élève et s’échauffe et trahit le sentiment personnel qui l’anime. Au contraire, quand il lui arrive de mettre en scène des hommes ou des doctrines que, dans son for intérieur, il croit néfastes, presque à son insu son exposition se relève et s’égaye parfois d’une petite pointe d’ironie, à peine saisissable, mais fort spirituelle, et qui suffit à nous avertir qu’il n’est point dupe. Et tout ceci pour ne rien dire des jugements et des conclusions, par où s’échappe sa pensée de der-