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Broban, Reichemberg, Emilie Broisat, Jeanne Samary ; et aussi que l’actualité du sujet, les polémiques soulevées, la malignité du public qui se plaisait à soulever les masques, n’y étaient pas étrangères. Depuis lors, le temps a passé. Les salons qu’on recommandait, en ce temps-là, aux candidats à l’Académie, se sont fermés. L’éblouissante pléiade d’artistes, qui restera célèbre dans l’histoire de la Comédie-Française, a disparu. La pièce n’a jamais cessé de ravir un public qui l’applaudit pour elle-même. C’est un fait bien connu, rue Richelieu, que si d’aventure on est embarrassé et si, pour quelque cause que ce soit, la salle n’est pas aussi remplie qu’on voudrait, vite, on remet sur l’affiche le Monde où l’on s’ennuie. Et le public de reprendre le chemin de la Comédie. L’accueil fait l’autre soir à cette pièce heureuse a prouvé une fois de plus l’action qu’elle exerce sur le public. Après quarante ans, elle n’a pas pris une ride. Tout de suite la salle est conquise, et ce sont jusqu’au bout des fusées de rire coupées par de jolis moments d’émotion. Il est impossible de doubler plus allègrement le cap de la sept centième.

Ce succès inépuisable et légendaire tient d’abord à cette raison, qui en vaut bien une autre, que Le Monde où l’on s’ennuie est une œuvre achevée en son genre, une parfaite réussite. C’est ensuite que cette pièce d’un tour si moderne se rattache étroitement à notre tradition, et qu’elle est en intime accord avec notre humeur française et même gauloise. C’est une tradition chez nous, depuis Molière, de railler les pédants et les savantes qui, pour l’amour du grec, sont tentées de les embrasser. Cela date, notons-le, du jour où ont pris naissance la vie de salon et l’art de la conversation. Cette vie de salon, nous en goûtons subtilement le charme. Cette conversation, qui est un art si français, nous en sommes fiers. Nos savants, nous voulons qu’ils sortent de leurs bibliothèques et de leurs laboratoires, pour se frotter au monde : avant d’être philosophe ou chimiste, il importe qu’on soit honnête homme. Et de plus en plus il nous plaît qu’une femme ne soit ni sotte ni ignorante, et qu’elle puisse causer d’autre chose que d’ennuis domestiques et de chiffons. Oui, mais tout est affairé de nuances et dans aucune autre affaire on n’a plus de chances de dépasser la mesure. Un salon peut être académique, à condition toutefois qu’il ne devienne pas une académie. Il est excellent qu’on y parle du livre qui vient de paraître et de la pièce en vogue : encore ne faut-il pas que la causerie y devienne conférence. Une femme instruite a beau avoir des clartés de tout, sur certaines questions elle manque de préparation, et, pour peu qu’elle s’y pâme, son