entreprises de l’intelligence humaine. Et la simple copie des fragments de la vérité n’est rien : ce qu’il y manque, c’est la vie. Et il faut donc que l’image soit une création. Mais alors le péril est de créer avec une désinvolture involontaire une image qui ne sera plus la vérité.
L’art demande une habileté à laquelle on serait fou de renoncer sous le prétexte qu’on s’est promis de ne pas intervenir, comme si l’on espérait donner ainsi d’une façon plus exactement pure la vérité que l’on a vue et prise. Mais il importe que cette habileté n’aille point à modifier la vérité. Voilà l’extrême difficulté de l’art auquel M. Pierre Mille se consacre.
Comment résoudre une telle difficulté ? M. Pierre Mille est un observateur assidu. En outre, il sait que nous avons à craindre de voiler par notre méditation l’objet de notre examen. Pour éviter ce pire inconvénient, il se fie à la prompte divination que réussit assez bien l’esprit dès sa mise en contact avec la vérité. À ce moment, l’esprit n’a-t-il pas sa fraîcheur ? Et la surprise l’a mis en éveil : il sait voir. Il devra ensuite élaborer les documents qu’il aura saisis d’un coup preste et heureux : mais il redoutera surtout de leur ôter leur vivacité. Un art qui réunit à la spontanéité la méditation, sans que l’une étouffe l’autre, une spontanéité intelligente, c’est l’art de M. Pierre Mille, où il est passé maître.
Les images de vérité qu’un artiste réalise dépendent de la vérité, mais ne dépendent pas moins de l’artiste. Une image sur un miroir dépend de l’objet qui se reflète, et aussi du miroir : mais l’âme d’un artiste, si elle est un miroir, est un miroir qui compose, arrange et colore l’image. Conséquemment, une esthétique revient à être en quelque sorte une morale : tant vaut l’âme et tant vaudra l’image.
Or, dans une touchante et belle invocation que M. Pierre Mille adresse à un jeune homme qui est tombé en Argon ne le 17 février 1915, il y a cette ligne : « Tu es tombé comme je t’avais, pour ma part, un peu appris à vivre : droit, fort, ironique et brusque. » Il me semble que ces quatre mots caractérisent très bien l’âme qui se révèle dans l’œuvre de M. Pierre Mille.
C’est une œuvre, honnête et sans pusillanimité. Sur la terre vaste et qu’il a parcourue, M. Pierre Mille a vu beaucoup de tristesse et d’atrocité, la souffrance qui résulte des climats, et la souffrance qui résulte du travail, et la souffrance, qui résulte.de la sottise ou de la malignité humaine. En lisant ses livres, on éprouve le même chagrin qu’à lire l’histoire : celle-ci montre, dans la durée, le mal que les hommes ont fait aux hommes, quand les terribles conditions de la