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REVUE LITTÉRAIRE

LES CONTES DE M. PIERRE MILLE[1]

Un jour, M. Pierre Mille était à Constantinople. On le mena chez un hodja. Ce très saint homme avait passé quarante années dans une petite chambre de dix pieds carrés à méditer sur les attributs et la gloire de Dieu. Il y avait quarante années que le très saint homme était là ; et il continuait sa méditation. Dans la chambre, on ne voyait pas d’autres objets qu’une écuelle, une natte, un tapis de prières et le foyer dont les cendres étaient froides. Non loin de ce réduit, le paysage est le plus beau du monde, la Corne d’Or et les collines de Scutari, les merveilles de la lumière qui joue avec l’air et l’eau. M. Pierre Mille demanda au bonhomme s’il n’avait aucune envie de regarder ces merveilles et s’il n’admettait pas que la contemplation d’une telle beauté ; qui est l’œuvre de Dieu, fût en quelque sorte une prière ; le bonhomme n’aimerait-il point à sortir, à se promener et à voyager ? « De l’air patient que prend un maître avec un enfant qui ne comprend pas, » le bonhomme répondit : « Pourquoi faire ? Regarde cette cendre, dans le foyer. Allah y est, puisqu’il est partout. Je regarde cette cendre. » Pareillement, on lit dans l’Imitation de Jésus-Christ : « Que pouvez-vous voir ailleurs, que vous ne voyiez où vous êtes ? Voici le ciel, la terre, les éléments : eh ! bien, c’est d’eux que tout est fait. Quand vous verriez toutes choses à la fois,

  1. Trois femmes (Calmann-Lévy). Du même auteur, De Thessalie en Crète (Berger-Levrault), Au Congo belge (Colin) ; Sur la vaste terre, Barnavaux et quelques femmes, La biche écrasée, Caillou et Tili, Louise et Barnavaux, Le monarque, Sous leur dictée, Nasr’eddine et son épouse (Calmann-Lévy) ; Quand Panurge ressuscita, L’enfant et la reine morte (Cahiers de la Quinzaine) ; Paraboles et diversions (Stock) ; En croupe de Bellone et Le bol de Chine (Crès).