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accumulées, ce n’est pas pour remplir le devoir douloureux de rappeler aux générations qui viennent les souffrances de leurs pères, c’est pour établir la comparaison entre vainqueurs et vaincus et pour prouver que ces derniers sont en état d’acquitter leurs obligations vis-à-vis de nous.

Nous aurions pu écarter cette idée qui ne serait évidemment pas entrée dans le cerveau de nos ennemis, s’ils avaient été les plus forts. Quels sont les généraux ou les hommes d’Etat prussiens qui se seraient préoccupés, au moment de nous dicter un traité de paix et de fixer l’indemnité de guerre, de déterminer nos capacités de paiement ? Non seulement ils n’auraient pas cherché à rester en deçà de cette limite, mais ils auraient su prendre, pour le cas où nous ne nous serions pas acquittés de l’intégralité de la contribution convenue, des gages substantiels, dont la conservation leur eût procuré des avantages considérables. Nous ne trouvons rien de semblable dans le traité de Versailles, qui prescrit au contraire aux Alliés, déjà même avant d’exiger la remise des 40 milliards de marks or de bons qui doivent compléter les premiers 100 milliards à remettre par l’Allemagne, d’examiner si cette dernière peut assurer le service des intérêts et du fonds d’amortissement desdits bons.

C’est là que se trouve le nœud du problème. Les rédacteurs du traité ont voulu faire œuvre non seulement de justice, mais d’extrême modération, et ils ont subordonné l’accomplissement non pas de la totalité, mais de la première partie de l’œuvre de réparation, aux facultés du débiteur. Leur erreur a consisté en ce qu’ils se sont imaginé que la détermination de cette faculté est chose aisée, alors qu’elle est pour ainsi dire impossible. C’est un des problèmes les plus effroyablement compliqués qui se puissent poser devant un aréopage de diplomates ou d’hommes d’Etat, que celui qui consiste à vouloir chiffrer les sommes qu’un pays est en mesure de verser à ses créanciers. Outre que la statistique première et fondamentale qui permettrait de donner à une recherche de ce genre un point de départ précis n’existe pas, elle s’appliquerait, si elle pouvait être dressée à un jour déterminé, à des objets essentiellement variables. La fortune d’une nation change d’une année à l’autre ; la seule différence des récoltes, du commerce extérieur représente, en quelques mois, des milliards.

D’autre part, est-ce le capital ou le revenu qu’il convient de