Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le langage de Térence en y mêlant de l’esprit de Tabarin, eut pour effet de courroucer Chapelle. Celui-ci prit fait et cause pour Molière, réfuta Despréaux et, dans son emportement, alla jusqu’à se vanter que c’était lui, Chapelle, qui « avait renversé la cruche à huile de Boileau » et lui avait mis « le verre à la main ! » — « Langage d’ivrogne ! » dit Boileau. — « Mais non, langage d’un sage ! » répliqua La Fontaine. Et comme La Fontaine était familier avec Térence et qu’il avait donné lui-même naguère une traduction de l’Eunuque du comique latin, ce fut un tournoi où chacun prit part.

À la fin, cette discussion causa tant de bruit que la servante La Forest, son torchon à la main, et le portier Chrestien, béants tous deux de stupeur et d’admiration, délaissèrent ensemble l’office pour venir écouter ce que les hôtes de leur maître racontaient de sublime sur Térence. Mais, ce qu’il y a de piquant, c’est que Descôteaux, qu’on n’attendait pas en cette affaire, prit la parole et dit que ce qui lui faisait aimer l’auteur de l’Eunuque, c’est que son théâtre, comme celui de Molière, se prêtait aux accompagnements de la musique. « Cela est si vrai, dit-il, que Flaccius, affranchi de Claudius, accompagnait le plus généralement les comédies de Térence sur la flûte. » Molière, qui avait parlé déjà de flûtes dans l’Étourdi et, dans Don Juan, fait dire un mot à Pierrot sur les joueurs de vielle, avoua qu’il n’y avait rien que les Romains aimassent autant qu’une mélodie langoureuse, adroite et discrète, accompagnant les paroles des acteurs sur la scène. « Mais, demanda le Bonhomme, extrêmement surpris que les flûtes parussent au milieu du banquet, et dans un moment qu’on n’attendait pas, quelles étaient ces flûtes ? »

La Fontaine n’avait entendu, jusque-là, que les flûtes que les bergers de campagne jouent devant leurs troupeaux. Mais Descôteaux ne tarda pas à le mettre au fait. « Tantôt, dit-il, quand la pièce était sombre, tragique, c’étaient des flûtes lydiennes dont jouaient les acteurs ; mais si, par bonheur, la pièce était gaie, animée, avec des entrées et des sorties comiques, c’étaient des flûtes tyriennes, plus joyeuses, que ceux-ci portaient à leurs lèvres. »

À ces mots, Molière, qui venait de voir l’embouchure de l’un de ces instruments s’échapper de la poche arrière de l’habit du flûtiste, ne put se défendre d’intervenir. — « Je pense bien,