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Halles, ne savaient auquel, du cru d’Argenteuil ou de celui de Pantin, donner la préférence.

Sur un sujet aussi grave, les uns et les autres eussent pu longtemps discourir, d’autant plus que Chapelle, avec cet élan, cette fougue qui l’animait, n’avait de cesse de mêler la philosophie à ses propos et, qu’à la fin on ne savait plus bien, en arrivant au bout du sentier, vis-à-vis la maison que Molière avait louée à M. de Beaufort, lequel, du système de Descartes ou du petit vin doux, faisait l’objet du débat. « Messieurs, disait Descôteaux, — un tuyau de flûte douce sortant de la poche de son habit, — je crois bien que voici Molière ; c’est lui qui va nous départager. » En effet, les amis n’étaient pas plutôt parvenus en haut de la pente que celui que Somaize a nommé « le premier farceur de France » venait de loin, dans leur direction, les bras ouverts.

A peine fut-il mis au fait par les arrivants sur le cas de savoir lequel devait remporter du système de Descartes ou du vin de Pantin, Molière répondit qu’il n’y avait rien là qui fût de nature à s’opposer ; qu’il venait bien de jouer aux quilles, pendant près d’une heure, avec Despréaux et que cela ne les avait pas empêchés, Despréaux et lui, durant qu’ils lançaient leurs boules, de s’exprimer sur la comédie et sur la satire. Il ajouta que c’était un exemple et que, si ses amis voulaient bien pénétrer dans sa demeure, il allait faire en sorte de leur démontrer que l’usage du vin doux et le goût d’un bon mets ne sauraient nuire aux spéculations de l’esprit cartésien.

A cet effet, il ouvrit la porte et, tandis que le sieur Chrestien, portier de la Comédie et qui faisait aux grands jours chez son maître l’office de valet, accourait pour débarrasser les visiteurs de leurs manteaux, ces Messieurs pénétrèrent dans l’habitation. Le jardin était un peu en arrière, ce fameux jardin où Poquelin, pendant toute une heure, avait parlé une fois à Chapelle sur sa femme, où il s’était plaint d’Armande, où il lui avait avoué (c’est Grimarest qui parle) qu’étant « né avec les dernières dispositions à la tendresse, » et que, n’ayant rencontré que dédain et froideur de la part d’Armande, il n’y avait désormais rien qui pût le détourner du chagrin mortel qu’il avait ressenti à la suite des perfidies, des noirceurs et des trahisons de cette coquine.

Dans ce même jardin, M. Despréaux, que ne ravageait pas