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emporter ses chefs et inspirer ses écrivains, en un mot faire son sort et le servir.

La conséquence d’un tel fait est la continuité de l’histoire de France. Certes presque toutes les nations qui nous entourent peuvent se targuer d’une pensée qui, à travers les siècles, a présidé à leur développement : l’Angleterre étale sa Grande Charte, l’Allemagne pare de l’idée du Saint Empire son impérialisme sans cesse menaçant, l’Italie cherche dans une suite de penseurs les origines de son Risorgimento ; mais ni l’Angleterre conquise au XIe siècle par les Normands, ni l’Allemagne, masse chaotique d’États quand la France consommait son unité, ni l’Italie, jusqu’au siècle dernier morcelée, ne peuvent être comparées à notre pays. Formée des trois appoints, celte, latin et franc, notre race possédait dès le Ve siècle une personnalité qui lui permettait de constituer une nation. Du baptistère de Reims où Clovis vient en quelque sorte sceller l’union des trois éléments, date l’histoire de France — encore que, bien avant, la Gaule romanisée ait, M. Imbart de la Tour va sous peu nous le démontrer, porté la future France en ses entrailles. Et du sacrement de Reims à la victoire de Foch, les générations se sont succédé sans qu’un instant la chaîne de notre histoire ait été rompue.

De cette histoire, — en se plaçant du point de vue humain, — M. Gabriel Hanotaux donne la formule. « Cette chaîne de vingt-cinq générations travailla à verser la Méditerranée dans les mers du Nord. » Une nation ne vit pas pour elle-même. Dans le plan supérieur qui préside à l’histoire du Monde, elle a sa mission. Celle de ce pays-ci a été de sauver la civilisation méditerranéenne dont, à la veille des grandes invasions, elle était pénétrée, puis de l’étendre à l’Europe nordique. Mais pour qu’elle remplisse son rôle, il faut qu’elle soit forte et, pour être forte, qu’elle soit une. Sa politique intérieure est fonction de sa mission en Europe.

Vingt-cinq générations, dit Hanotaux. Le chiffre est peut-être arbitraire. Comment définir une génération ? Si elle groupe des Français autour d’une pensée, elle peut être de vingt-cinq ans, de cinquante ou même de cent. Certains siècles ont gravité autour d’un seul concept. Depuis que la démocratie tend à dominer, les générations, si j’ose dire, vont plus vite et la preuve est que M. Hanotaux, n’en accordant souvent qu’une à deux siècles réunis, n’en distingue pas moins de sept depuis