Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jugeaient immodérée. Elle était profondément sincère et nullement exaltée. Certes, j’avais foi dans les talents de nos chefs ; mais j’avais une foi beaucoup plus ferme dans la vertu de notre race. Très précisément dans les deux années qui avaient précédé la guerre, j’avais été amené à en étudier en de rapides conférences les crises capitales. Si j’envisageais sans crainte une situation en apparence compromise, c’était moins en songeant aux ressources que Joffre avait encore entre les mains, qu’à celles qui toujours, à l’époque de Jeanne d’Arc, à l’époque d’Henri IV, à l’époque de la Révolution, s’étaient révélées. Plus il semblait que le péril fût mortel en cette première semaine de septembre et plus il réapparaissait qu’il allait être conjuré : c’était toujours du fond de l’abîme que notre peuple avait rebondi aux sommets et le miracle se produirait, — non point miracle inattendu et isolé, — mais manifestation presque fatale de ce miracle permanent qu’est, depuis quinze cents ans, l’existence de notre nation.

De 1914 à 1918, la France a continué. La Vertu française s’est dépensée sans compter : les chefs qui ont organisé la victoire et ceux qui l’ont remportée, les soldats veillant dans leurs tranchées ou jetés à l’assaut, n’ont été que partie de cette vertu ; des chefs de notre État aux ouvriers qui forgeaient l’arme et aux paysannes courbées sur le sillon, chacun a travaillé à la grande œuvre, — et les mères qui refoulaient leurs larmes et les épouses assumant les tâches abandonnées et les plus humbles auxiliaires du grand labeur national. Le Monde a vu avec une sorte de stupeur d’admiration cette nation qu’on lui représentait comme atteinte de gangrène sénile se montrer, tout au contraire, la plus résistante à l’épreuve, fortifiant par surcroit sa résolution d’un juvénile entrain et joignant la foi inspirée d’un Croisé à la vertu goguenarde d’un grognard.

Stupeur d’admiration : nous ne pouvions l’éprouver. Le Français de 1914-1918 était pour nous l’éternel Français et sa vertu n’était que la synthèse des vertus depuis quinze cents ans portées par la race sur tous les champs de l’Histoire.


Qu’un tel spectacle fortifiât un Gabriel Hanotaux dans le dessein de faire sortir de la collaboration de ses confrères une histoire de la Nation, qui s’en étonnerait ? Cette crise illustrait