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la tranchée ; le dressage des troupes et des cadres exigeait de longs séjours en arrière du front. C’est donc pour une bonne raison que les charges pesaient plus lourdement sur l’armée française, mais le fait demeure. Pendant les deux premières années de la guerre, l’armée britannique s’organisait et s’instruisait, ne pouvant mettre en ligne que très peu d’unités ; pendant le reste de la campagne, l’armée française a continué à prendre beaucoup plus que sa part dans les dangers et les travaux.

Ce rôle capital méritait une compensation qu’on cherche vainement dans le traité.

On constate au contraire que les négociateurs anglais ont obtenu de M. Wilson qu’il renonçât à l’un de ses quatorze points, celui qui concerne précisément la liberté des mers, et que le traité transfère à l’Angleterre les droits du sultan sur le canal de Suez ; en outre, le régime prévu pour les colonies enlevées à l’Allemagne et transférées à la Société des Nations est très adouci par le mandat conféré aux pays de l’Entente qui en héritent, clause dont bénéficie surtout l’Angleterre. Les Français ne peuvent que la féliciter de savoir faire céder M. Wilson, mais voudraient bien profiter quelque peu de cette bienveillance. Ils voudraient à tout le moins être assurés de garder le bénéfice du désintéressement, et ils ne l’ont pas.

À la veille du coup d’État de Kapp, une voix s’est élevée de l’autre côté de l’Atlantique pour dénoncer le militarisme français : pour respectée qu’elle soit, cette voix a fait sourire. De même, on s’est fort étonné qu’à San Remo le chef du gouvernement français ait eu à repousser le soupçon d’impérialisme. Le Droit et la Liberté ne sont pas de vains mots : ce sont pour la France des réalités ; en paraissant éprouver un doute à cet égard, ses alliés se diminueraient en même temps que la cause pour laquelle ils ont pris les armes.

La politique française est nette et franche ; personne en France n’a de desseins cachés. Il apparaît à beaucoup de Français que l’Allemagne militaire reste un grave danger et qu’en la délivrant de l’hégémonie prussienne on la rendrait à sa forme naturelle, le fédéralisme. En particulier, la Rhénanie veut son autonomie et il est paradoxal que les armées de l’Entente montent la garde pour la Prusse ; les Rhénans réclament que la Commission chargée de défendre leurs intérêts soit élue par eux. Le gouvernement de Berlin inflige à leur commerce et