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douceurs du syndicat et des grèves. Le personnel au complet, ou peu s’en faut, ceux qui jouent, ceux et celles qui chantent et qui dansent, ont transféré le lieu de leurs exercices et leur « foyer » dans la célèbre salle de la rue poétiquement dénommée « Grange-aux-Belles. » Le chef d’orchestre, étant le chef, a naturellement suivi. Aussi bien son titre seul aura sous peu quelque chose d’archaïque et d’offensant pour ses musiciens. On l’a déjà traité de « camarade. » Bientôt, ce sera de « serviteur. » « Serviteur d’orchestre » répondra mieux à la réalité des faits comme à l’humilité de la fonction rabaissée. Et cette fonction même finira par être abolie. Alors, dans la véritable démocratie musicale, dans la république des instruments et des voix, des rythmes, des mouvements, des valeurs et des timbres, la liberté véritable et la parfaite égalité sa sœur, à défaut peut-être de la fraternité, régneront. Déjà paraissent et se multiplient, dans le monde lyrique, les symptômes de cette anarchie sonore et les promesses de ce tintamarresque avenir. Signes de tout genre, depuis les moindres jusqu’aux plus sérieux. La récente reprise d’un charmant ouvrage ne faillit-elle pas être empêchée parce que les interprètes syndiqués s’opposaient à la rentrée d’un autre, — et non le moindre, — qui n’était pas des leurs ? Il faut savoir quelles répétitions, retardées, abrégées, troublées par l’indiscipline, la négligence, la paresse, préparent, — et comment ! — un trop grand nombre de représentations et de concerts. Il y a quelque chose de… de ce que dit Shakspeare, même dans le royaume des sons.

De l’intérieur, si l’on passe aux affaires étrangères, il nous faut déplorer l’excès de notre importation. MM. les directeurs de la Gaîté Lyrique avaient cru bon, le mois dernier, de remplacer la française, et très gentiment française Véronique par une opérette, ou moins, beaucoup moins qu’une opérette britannique intitulée la Geisha. L’idée n’était pas heureuse. Heureusement, la suite en fut brève ; au bout d’une semaine, on rappela notre Véronique. Le sujet de la Geisha, comme le nom l’indique, est nippon, et le lieu, très spécial, de l’action, assez mal choisi. Voilà, si nous comptons bien, la troisième version musicale de la célèbre japonerie de Pierre Loti. La première, et de beaucoup la meilleure, est la Madame Chrysanthème, de M. Messager, où, parmi de charmantes pages, il s’en trouve au moins une admirable, tout simplement. Madame Butterfly n’est guère autre chose qu’une contrefaçon. La Geisha parut plutôt une « charge. » Ni la grâce chantante et dansante de M, c Marguerite Carré, ni la bouffonnerie de M. Max Dearly, ni l’éclat des décors, ni