enfance et mon adolescence. Il avait l’air d’un vieux gentilhomme français… Il a eu toute sa tête jusqu’à sa dernière minute. Une de ses aïeules, une Swinburne, eut trente enfants du même lit : les gens se bousculaient autour de son carrosse pour voir ce phénomène. Vous m’accorderez qu’une telle race, si elle se mêle un jour de produire un poète, il serait bien surprenant que ce fût un poète de cantiques et d’églogues de salon, à l’usage des pasteurs et des jeunes demoiselles.
Ce trait explique bien des choses et va assez avant dans l’âme de l’auteur. Quand on date d’avant la Conquête, qu’on a dans sa famille les titres d’une pairie qu’on a laissée prescrire depuis le XIVe siècle, ce n’est pas pour penser et pour se conduire comme tout le monde ; on est d’une autre race que celle de ces Prudhommes, fils de l’« âge du bœuf domestique. » Le vieux sang révolté, le sang du grand-père voltairien et casse-cou, ami de Mirabeau, court et galope toujours dans les veines du petit-fils. Cet archi-aristocrate sera républicain. La morale commune et l’opinion bourgeoise ne sont pas faites pour lui. Vous ne voudriez pas, quand un pareil homme prend la peine d’écrire des vers, que ce fussent des berquinades ou des « idylles du prince consort, » comme il appelle railleusement les Idylles du roi de Tennyson, avec leurs Guinevères peintes par Winterhalter. Il sera mécréant, immoraliste, athée ; il sera contempteur des rois et ennemi des lois, applaudira aux barricades, exaltera les insurgés. Il aura des vices de sadique et des idées de sans-culotte. Il proclamera le « devoir sacré » du régicide. Manières de grand seigneur qui a un vieux compte à régler avec la société.
Du reste, ce nihiliste est furieusement rétrograde. Il a horreur des Parlements, le mot de progrès le fait bondir. L’idée d’égalité lui soulève le cœur. C’est lui qui, dans un banquet, invité à parler au nom de la Presse, s’écrie en trépignant : « La liberté de la presse est une chose infâme… une chose monstrueuse… une chose bête ! » Et il se rassit au milieu de la consternation générale. Tel est le seul discours qu’il ait prononcé de sa vie. C’est toujours lui, champion de la liberté des peuples, qui vouait à Gladstone une haine furibonde pour avoir eu l’audace de parler du Home-Rule, et qui, lors de la guerre des Boers, éclatait contre l’ « ennemi » en invectives féroces. Il a le tempérament batailleur et impérialiste. En réalité, quoi qu’il fasse, il est l’héritier de quinze générations de ces hobereaux des borders, des marches de l’Ecosse, qui