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étant celle de l’initiation à la secte des Rose-Croix, secte datant du XIVe siècle français, accaparée, développée plus tard par les Allemands, puis revenue en France au XVIIe siècle. Or, les Rose-Croix, en 1665, redoublaient leur propagande et faisaient « bruire leurs fuseaux » tout autant que les propagateurs du « vin émétique ; » et Molière, qui tapait à droite comme à gauche, fait railler « l’amour de l’humanité » autant que le ciel et… le reste, par son rieur impénitent.

Sarcey a eu le courage de dire que Don Juan est une pièce « bâclée » qu’il faut enlever brillamment. On ne saurait trop y insister. D’ailleurs, le Don Juan philosophico-moderne, bien renté, pour pensionnaires excentriques et bas-bleus sur le retour ; le phraseur au front pâle, à la mèche ondulée, à la moustache impertinente, et qui se regarde dans la glace après l’émission lyrique de chacun de ses blasphèmes ; ce personnage exotique est bien caduc. Notre Don Juan, « méchant homme » de la cour, est, répétons-le avec Molière, un Parisien de Paris qui rit de tout !

Son valet Sganarelle doit, lui aussi, nous divertir par ses réparties plébéiennes. Il reste le joyeux Sancho, mangeant fort et buvant sec ; ce symbole éternel et simpliste du bon « populaire » plein de santé et de bon sens. S’il s’est, autrefois, retiré, peureux, devant les colichemardes de Don Carlos et de Don Alonso, frères d’Elvire, le bon Sganarelle nous a, depuis août 1914, donné ses nombreux enfants dans les tranchées, tout en y séjournant lui-même. Il est toujours le robuste serviteur de la vieille France, bien qu’il demeure subjugué, de temps à autre, par les hâbleries du « méchant homme » lui détenant ses « gages ; » et qu’il se redise encore, à part soi : « … La crainte en moi fait l’office du zèle, bride mes sentiments et me réduit d’applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste… »

Si Molière eût vécu de nos jours, il eût certainement campé le Tartuffe de la libre pensée. Je suis assuré qu’il l’eût montré « comique » tout ainsi que son Imposteur, faux dévot dont le public doit rire. Le spectacle de son triomphe constant sur l’obtus Orgon doit « faire rire. » Molière, qui s’était chargé du rôle d’Orgon, avait fait interpréter Panulphe-Tartuffe par Du Croisy, rude gaillard « à l’oreille rouge, » « au teint bien