Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/830

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idées. Enchantement alors des longues heures d’étude ; fièvre des examens ; levers au petit jour, sous la lampe ; délectation, alors qu’il reste seulement une heure pour préparer la composition d’algèbre, d’ouvrir Ronsard ou Pascal et de leur offrir en secret ce temps précieux que réclamaient les mathématiques abominables ; exaltation de sentir sa pensée devenir plus claire et plus forte ; mépris des émotions enfantines ; illusion de croire qu’il ne s’agit plus de sentir les choses avec son pauvre instinct frémissant et confus, mais de les comprendre ; impression lumineuse de partir pour le large, et un peu plus tard, sans même avoir senti passer la tempête, cette autre impression, que tous les points d’appui se sont effondrés et que l’on est tout seul au milieu de la mer… C’est l’ordinaire histoire de bien des jeunes esprits. Certains d’entre eux, si cette crise d’âme se prolonge, trouvent alors, dans la supériorité de l’enseignement reçu, de suffisants et solides secours. Mais on ne se donne guère la peine d’amener jusque-là les cerveaux féminins. Une vague notion de tout, un vague sentiment du rien, sont généralement jugés suffisants. Et il faut s’arranger comme on peut, avec une sèche histoire de la philosophie et les notes griffonnées dans le cahier de morale.

André Corthis a tout loisir de réfléchir à ce qui lui plait, ou l’inquiète, pendant les longues vacances. Ce n’est plus maintenant sur la côte catalane, au bord de la mer éclatante, mais dans une maison de Provence, non loin du Rhône, avec les Alpes à l’horizon. Cependant, ce sont toujours les toits de tuile, et c’est toujours le grand soleil. Vacances singulièrement solitaires et mélancoliques. Peu de promenades et pas d’amies. Comme joie : les livres. Comme plaisir : celui d’aller dans les maisons paysannes, d’observer les humbles, d’apprendre, en parlant avec eux, ce parler de Provence qui se rapproche du catalan, mais avec des douceurs plus grandes, — et d’entendre le soir grincer dans la campagne le puits-à-roue sonore, tourné par un petit âne, et qui chante la même chanson que la noria espagnole.

Le milieu familial est tout imprégné de préoccupations artistiques. La chère grand’mère est là au milieu de ses livres. L’oncle de l’adolescente est Rodolphe Julian, qui fut une bien curieuse figure du monde des artistes vers 1880 et dont la femme est l’un de nos peintres les plus noblement sobres et les