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jeunes filles. Un beau jour — avec quel battement de cœur ! — elle décida d’envoyer une lettre au directeur et de lui proposer un roman. Elle avait douze ans. Il convenait de s’en cacher. Toutefois, elle n’aimait point mentir. La proposition faite, elle déclarait donc vaguement : « Mon âge ? vingt ou quarante ans, peu importe. » Et elle ajoutait, pour rassurer tout à fait ce directeur, qu’elle imaginait absolument abîmé de stupéfaction devant cette écriture inconnue : « Veuillez ne pas me prendre pour une aventurière. »

Jamais billet doux ne fut expédié avec autant de secrètes précautions que cette burlesque missive. Et le plus burlesque est qu’il y eut une réponse. Le directeur ne demandait pas mieux que de recevoir le roman annoncé ! Quelle faim de manuscrits, quelle soif de collaborateurs tourmentait donc ce malheureux journal ? — L’épistolière fut stupéfaite et presque épouvantée de ce succès. Elle avait réfléchi ; se trouvant ridicule à en mourir de honte, elle jugeait très mal ce monsieur qui prenait au sérieux ses pauvres sottises. Et si elle continua de se raconter des histoires, à trois heures, quand tout le monde est endormi, dans le long couloir frais et blanchi à la chaux, elle n’écrivit pas plus avant cette année-là ni aucune de celles qui suivirent.


Le retour en France, à quatorze ans, ne fut pas seulement un joyeux retour, ce fut aussi un peu comme un autre exil. Les jeunes années vécues là-bas avaient laissé une empreinte si profonde que toujours elle devait transparaître sous l’apport multiple dos autres années. Aujourd’hui encore, pendant ces heures méditatives où l’on sentie besoin de s’examiner ou de faire à soi-même certaines confidences, je ne suis pas bien sûr qu’André Corthis ne trouve pas, d’abord, cette petite fille en robe de percale qui rêvait au soleil des jardins espagnols, et que ce ne soit pas avec elle, d’abord, qu’il lui faille s’entretenir.

Cependant, il s’agissait de rattraper le temps perdu auprès de l’Allemande qui jugeait si personnellement les rois de France et dans le couvent des Dames Noires où l’on faisait de si parfaites reprises. Le moment était venu d’avoir en mains d’autres livres que les récils d’aventures, de connaître enfin l’âme et la langue françaises, les beaux vers, les belles phrases et les belles