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L’enfance d’André Corthis fut bercée de bien belles histoires. Fille, petite-fille et nièce de marins bretons, descendant, du côté maternel, de ces « Stefanopoli » que devinrent les Commiène quand ils furent s’établir en Corse après leur déchéance, elle devait, toute petite, sentir derrière elle, dans ce passé d’où elle est venue, des patries bien dissemblables.

Récits de voyages et de guerre, faits par son père, embarqué dès l’âge de douze ans, combattant au Mexique, héros en 1870 de l’épopée du ballon Le Galilée, récits d’aventures faits par les oncles qui reviennent de loin, visages entrevus dans les souvenirs des grands-parents, vieilles villes, vieilles demeures, campagnes inconnues, oui, c’étaient là vraiment de bien belles histoires, des romans composés comme sait le faire la vie, meilleurs, et plus pittoresques ou plus poignants que les mieux imaginés.

Roman, l’existence de son arrière-grand-père, le colonel Dufour, le Chouan, investi de la confiance des Princes. Exerçant en leur nom la puissance publique dans toutes les communes de la baie de Saint-Malo, il fait plus de quarante fois, au péril de sa vie, dans de pauvres barques mal sûres, la traversée d’Angleterre pour y transporter des prêtres et des ci-devant. Il acquiert l’amitié de Hoche, qui le tient en haute estime, ayant eu plusieurs fois à combattre contre lui. Outré de l’ingratitude dont témoigne envers lui, comme envers tant d’autres, la Restauration, il répond dédaigneusement à Louis XVIII, qui lui offre la croix de Saint-Louis : « Je n’ai pas perdu celle que j’ai reçue sous la Terreur. » Resté pauvre malgré tant de richesses maniées pendant la tourmente, il emploie les quarante dernières années de sa vie à enseigner les enfants de sa commune natale, Saint-Coulomb ; et sa très haute culture a sur le pays une influence qu’il y a quelque vingt ans encore, les « anciens » se plaisaient à rappeler.

Figure de roman aussi, mais non plus dans l’ordre héroïque, cette Panoria Stefanopoli qui, toute jeune femme, voisinait à Ajaccio avec Mme  Lœtitia Bonaparte. Elle était charmante et insupportable, ne savait ni lire, ni écrire, ni compter, et se vantait orgueilleusement de sa prodigieuse ignorance. À ceux qui s’étonnaient de son inaction, à son mari même réclamant d’elle