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LA
POÉSIE DE RUDYARD KIPLING

II[1]


III. LA POÉSIE DE L’ÉNERGIE

Ce qui se traduit de si anglais dans ces poèmes de la première période, c’est d’abord une certaine qualité de force, une certaine abondance et tension de l’énergie intérieure : cette énergie de vie et de caractère que l’éducation du corps et de l’âme, comme tant de disciplines sociales, veulent défendre, développer dans une certaine classe anglaise.

Par-là cette poésie est la plus saine qui soit, la plus différente des troublantes musiques où passent les inquiétudes, les doutes que tant d’illustres exemples nous ont appris à regarder comme le propre du poète. Du mouvement, de l’action, de la volonté s’y manifestent, en général des états « sthéniques, » depuis les élans de la verve et de la joie jusqu’aux accents soutenus de l’enthousiasme viril et de la solennelle conviction, jusqu’aux tensions de l’être personnel qui se roidit sur soi ou sur sa prise. Le génie de Kipling est le plus mâle qui soit, le plus différent de celui dont Renan nous a dit tout le féminin, — tendresse, mobilité, vagues émois de nostalgie ou de pressentiment, — à propos des petits peuples celtiques attardés dans les Bretagnes de France et d’outre-Manche. Ses vers sonnent comme des coups de marteau frappés à puissants bras nus de forgeron. La disposition d’âme qui se manifeste là, les premiers lecteurs de la Lumière qui s’éteint l’avaient déjà

  1. Voyez la Revue du 15 avril.