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reprochez-vous ? Voyez comme j’ai eu du tact : je ne vous ai rien demandé. » Le plus frivole trouve plus frivole que lui.

Donc, il y a l’amour libertin : c’est la frivolité de l’amour et c’en est le plaisir léger tel que Watteau l’a voulu peindre. Et il y a l’amour romantique : c’est l’amour déraisonnable, et qui attend d’impossibles bonheurs ; il demande l’infini et sera déçu. La nouvelle idée de l’amour est toute contaminée de romantisme : et voilà son inconvénient.

Ces théories vont et viennent, dans les romans de M. Edmond Jaloux. Du reste, ce n’est pas l’auteur qui les formule. Ce bon romancier ne formule pas de théories et laisse aux personnages qu’il invente le soin d’être philosophes. Ils sont un peu philosophes : c’est une de leurs élégances. Ils n’ont pas tous la même philosophie et chacun d’eux n’a pas constamment la même philosophie. Edouard du Puget, le libertin, s’avise un jour de son erreur : « Ah ! pourquoi ai-je ri naguère du romantisme de Marthe et me suis-je vanté d’appartenir moralement à ce dix-huitième siècle que j’aime tant ? Je suis un romantique, moi aussi ; j’ai trop aimé l’amour et la musique moderne pour ressembler à un contemporain de Létorières et du prince de Ligne : et, comme Tristan, je veux mettre l’infini dans l’amour ! » Je lui dirais : mon bon ami, tu es libertin quand tu aimes un peu, romantique lorsque tu aimes davantage ; et tu ne serais ni romantique ni libertin si tu aimais pour tout de bon.

Est-ce que les personnages de M. Edmond Jaloux n’aiment jamais pour tout de bon ? Jamais, serait trop dire ; mais, parmi tant d’amours qu’il raconte, M. Edmond Jaloux n’a mis qu’un très petit nombre de ces véritables amours qui prennent tout un personnage, occupent toute sa vie et le mènent jusqu’à la mort. Il a bien fait, s’il comptait nous donner une image de la réalité, où les véritables amours sont extrêmement rares. Combien y a-t-il de véritables amours, en tout un siècle ? On n’en sait rien : c’est aussi que les grandes amours, comme les grandes douleurs, sont muettes ; le sont-elles ? Peut-être les grands amoureux sont-ils rares comme les grands génies. Mais la plus humble vie n’a-t-elle pas eu ses petites amours, comme les plus humbles âmes ont leurs petits talents. Il ne faut pas traiter avec négligence les pauvres et tremblants efforts que font les âmes vers le génie et vers l’amour.

Cette Marthe, qui est l’amie d’Edouard du Puget, son amour est un grand et bel amour : elle en mourra. Edouard a grand tort de ne pas s’en apercevoir. Il la méconnaît, l’appelle une petite