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Ainsi s’est trouvée, large ouverte, la porte à tous les imposteurs. On sait avec quelle fécondité ils pullulèrent. Rien n’est plus aisé et plus tentant que de se prétendre celui dont les crédules réclament seulement quelques lointains souvenirs d’enfance auxquels il est permis d’être incontrôlables et effacés : ni connaissances spéciales, ni documentation d’aucune sorte : un nez vaguement aquilin, quelques anecdotes extraites du Journal de Cléry et citées à propos, voilà plus qu’il n’en faut pour imposer aux bonnes gens. Les faux Napoléon ont été excessivement rares, parce que le rôle eût exigé certaines aptitudes peu communes ; mieux valait ne pas se risquer a subir l’épreuve d’avoir à présider le Conseil d’État ou de gagner une bataille rangée. En revanche, les prétendants à la personnalité du fils de Louis XVI ont été nombreux. La Sicotière en a dressé jadis une liste bien incomplète : on en rencontre dans la plupart des provinces de France et dans plusieurs pays étrangers : on en a vu en Angleterre, à Uzès, à Saint-Nazaire, en Danemark, en Anjou, au Canada, en Auvergne, dans la république de Colombie, à Lyon, aux îles Séchelles, en Alsace… Quelques-uns recrutèrent des fidèles ; d’autres parurent pour s’évanouir aussitôt. La nomenclature en serait fastidieuse, quoiqu’il soit téméraire d’affirmer que certaines de ces traces, à peine sensibles, ne conduiraient pas à quelque piste intéressante. On n’a rien à dire ici des deux plus fameux de ces prétendants, le baron de Richemont et Naundorff : ce sont causes encore discutées, magistralement attaquées et défendues avec acharnement ; on n’a voulu traiter ici que la question de l’évasion sans prétendre se lancer dans les brumes psychologiques de la question d’identité. Or, les chances d’élucider le problème de l’enlèvement du Temple s’arrêtent avec le procès de Mathurin Bruneau, puisque, à cette époque où l’on disposait de tant de témoins encore vivants et tout disposés à parler, la justice, maladroitement inspirée, n’est parvenue qu’à rendre l’obscurité plus opaque. S’il fallait forcément une conclusion au long exposé de documents et de témoignages qui se termine ici, elle serait que la supposition de la soustraction du Dauphin par Chaumette, avec la complicité de Simon et de sa femme, dans la nuit du 19 janvier 1794, s’adapte mieux que toute autre