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d’une vulgarité voulue et d’une audace de commande. » Les initiés ne reconnaissaient pas en ce butor le « prince » mai dégrossi, mais madré qu’ils avaient adulé à Bicêtre, sans instruction, il est vrai, mais rachetant ses défauts d’éducation par une familiarité avenante, une fine bonhomie, une certaine hauteur et parfois un « air de cour » lui permettant d’entretenir durant plusieurs heures, sans les rebuter, des gentilshommes tels que M. de Montmaur ou M. de la Paumelière. Espérait-il, en invectivant le tribunal, être renvoyé devant une juridiction plus digne de ses prétentions ? L’avait-on à dessein enivré, comme on l’a prétendu, en mêlant à ses aliments quelque substance excitante, ou s’était-il grisé sans qu’on eût besoin de l’y inciter, afin de se donner « du ton ? » Peu importe. Au vrai, ce fut un effondrement. À la sortie de l’audience, les « initiés » s’esquivaient, honteux, sous les risées des simples badauds qu’amusaient les goujateries et les calembredaines de celui qu’on avait présenté comme « l’espoir des lys » et « l’ange sauveur de la France meurtrie ! » Bruneau fut condamné à cinq ans de prison, augmentés de deux années pour injures au tribunal. Il devait être mis, à la fin de sa peine « à la disposition du gouvernement. »

Mais déjà l’intérêt ne se portait plus sur le condamné ; il allait aux « dessous » du procès, aux longues intrigues soupçonnées, à la peur inspirée à la Restauration par ce fantoche misérable et par l’angoissant problème surgi de sa manifestation. On apprit, par suite d’âpres discussions entre les avocats, qu’on leur avait fait donner, avant l’audience, leur parole d’honneur de ne point prononcer un mot qui eût trait aux événements du Temple, ni à « la soi-disant évasion du fils de Louis XVI. » L’espion M… qui, dans son exorde, parlant de l’Enfant martyr, risqua une allusion des plus nuageuses a ceux « qui avaient répandu le bruit de sa mort, » fut rappelé à l’ordre par le président, invité à s’asseoir et à se taire. La Restauration ne supportait pas qu’un témoignage, une phrase, un mot, permissent de mettre en discussion la réalité d’un événement dont elle se refusait à fournir les prouves. Combien de royalistes sincères eussent été heureux et soulagés qu’on les délivrât d’un doute torturant ! On n’a pas consenti à le faire. Pourquoi ? Est-ce qu’on ne le pouvait pas ? C’est de cette époque que date « la question Louis XVII, » et c’est le gouvernement de Louis XVIII qui l’a inconsciemment posée.