de La Flèche. » Il n’en prétendait pas moins être le fils de Louis XVI ; bien que cela n’étonnât pas outre mesure ses compagnons de captivité, tourbe de vices, de déceptions, de mensonges et de misères, le bruit filtra hors de la prison que la maison de Bicêtre renfermait un prisonnier sans nom qui se disait être le Dauphin du Temple, et quelques curieux sollicitèrent du concierge Libois la faveur d’entrevoir le personnage aux heures où il se promenait dans la cour. Ce Libois cumulait, avec la souveraineté sur la maison de détention, la profession plus lucrative de buvetier-restaurateur ; sa sévérité de geôlier fléchissait devant la libéralité des consommateurs ; en se montrant généreux, un bourgeois de Rouen, Vignerot, put à loisir entretenir le « Dauphin, » le fournit les vêtements convenables, d’argent de poche, et ne se tint pas de se prévaloir de cette bonne fortune auprès de ses concitoyens. Bientôt d’autres visiteurs se présentèrent, entre autres l’abbé Matouillet, prêtre habitué de la cathédrale, qui recruta au prisonnier de nombreux adeptes. Au bout de deux mois de détention, Charles ne travaillait plus à l’atelier des sabots ; il était élégamment vêtu, avait de l’argent dans ses poches, et passait son temps à boire, à fumer et à recevoir.
L’étiquette de ces audiences était sommaire : il suffisait d’entrer chez le concierge, de commander une bouteille de vin, et d’attendre que le guichetier Blanchemain allât chercher Louis XVII, lequel, sans se faire prier, apparaissait bientôt. Trente ans environ, taille avantageuse, une « bonne tournure, » la figure agréable, malgré un nez « un peu tors, » « la peau très fine et très blanche ; » d’ailleurs sans façon ; « le Roi » s’attablait avec ses visiteurs, fumait sa pipe sans discontinuer et buvait à faire croire qu’il était associé avec le concierge. À la bouteille vide succédait une autre, accompagnée d’un plat d’huîtres, de fromage de Neuchâtel ; le café, l’eau-de-vie de Calvados, aidaient à prolonger l’entretien que Charles ne songeait pas d’ailleurs à abréger, racontant volontiers son histoire, comment il devait son salut aux blanchisseuses du Temple qui l’avaient fait sortir de prison dans une voiture de linge sale, puis enfermé dans un tonneau pour l’expédier à l’armée de Charette ; il narrait ses navigations, ses voyages en Amérique, s’attardait aux misères endurées. Tour à tour garçon boulanger, tailleur de pierre, soldat, tantôt reçu en prince, tantôt