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on exhuma les restes de Louis XVI et de Marie-Antoinette pour les porter à Saint-Denis, il était déjà entendu qu’on renonçait tacitement à rendre semblable hommage à la dépouille de leur enfant. La fatalité poursuivait l’innocent au-delà du tombeau et, comme au temps lointain où les partis politiques se disputaient sa tutelle, il semblait que son ombre fût encore suspecte au pouvoir et plus gênante que ne l’avait été pour les Comités de la Convention sa frêle personnalité. Ces omissions ne laissaient pas de troubler l’opinion ; les gens dont les souvenirs remontaient à l’époque de la Révolution se remémoraient le mouvement d’incrédulité qui avait accueilli, en 1795, l’annonce subite de la mort du Dauphin ; la négligence de la Restauration ravivait ces doutes que le gouvernement de Louis XVIII eût dû s’appliquer à éteindre, et la survie de Louis XVII ralliait déjà bien des indécisions, quand la rumeur se répandit que le Dauphin venait d’être retrouvé en Bretagne.


Au mois de décembre de 1815, un individu suspect, récemment débarqué à Saint-Malo, fut arrêté sur l’ordre de M. Pierre Pierre, lieutenant extraordinaire de police de cette ville ; ce pauvre hère paraissait être âgé de trente ans et n’était porteur d’aucuns papiers. Il déclara se nommer Charles de Navarre, natif de la Nouvelle-Orléans et exercer la profession de boulanger. Mais bientôt, « changeant de ton, » il affirma avec aplomb qu’il était le Dauphin, fils de Louis XVI, et remit à M. Pierre Pierre une lettre qu’il venait d’écrire à son oncle, le roi régnant, Louis XVIII le Désiré.

Le lieutenant de police fit aussitôt jouer le télégraphe et adressa le jour même un rapport à M. d’Allouville, préfet d’Ille-et-Vilaine. Toutes les autorités du département furent avisées de l’événement : la correspondance qui s’échangea entre elles à ce sujet témoigne d’une assurance et d’une sécurité plus déclamatoires peut-être que sincères. Car, bien plus que jadis la Champagne, la Bretagne maintenant prenait feu à la nouvelle que « le petit Dauphin » était revenu. Si les fonctionnaires affectaient le mépris pour ce misérable qui troublait la tranquillité publique, les petites gens, les campagnards et même les bourgeois de toute la contrée manifestaient un émerveillement joyeux, tant pesait encore sur tous les cœurs l’étouffant cauchemar du Temple. — « Un peuple énorme avait suivi