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Leempools dans ses Processions. Aux Artistes français, il y a également deux grandes compositions : Les départs, août 1914, de M. Adler et les Mutilés sous l’Arc de M. Barthélémy, où le principal spectacle est en dehors du tableau, mais se reflète tout entier dans les yeux des assistants.

L’infini est donc dans l’âme même et les expressions exactes par où l’âme affleure au visage et se trahit aux yeux : voilà le vrai microcosme du monde, je veux dire du monde surnaturel. « Le Royaume de Dieu ne vient pas avec des marques extérieures… Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous. » L’artiste peut observer ces expressions et les rendre avec la même rigoureuse précision que mettait le docteur Duchenne, de Boulogne, à provoquer sur des visages inertes les réactions des muscles, indicateurs de sentiments. Et il l’a toujours fait. Même aux époques d’art le plus mystique et le plus audacieux dans les figurations de l’inconnaissable, les Maîtres, pour ravir les âmes, ont largement usé de l’observation pure. Ce qu’il y a de plus édifiant, chez les Vierges et les Crucifixions des van Eyck, des Memling, de notre Jean Fouquet, ce ne sont pas les personnages sacrés, encore moins les symboles : ce sont les donateurs. Ce qu’il y a de plus surnaturel dans la Nativité fameuse d’Hugues de Gand, ce ne sont pas les anges inexpressifs et royalement parés : ce sont les bergers, — de terribles truands, pourtant, gibier de Breughel ou de Courbet, mais que la vue de l’Enfant-Dieu a transfigurés ! Supprimez les anges, et les nimbes, et les «  gloires,  » et les trompettes d’or qui jaillissent chez Fra Angelico : dans les faces extasiées de ses moines, vous aurez encore le Paradis. Si nous nous interrogeons sincèrement, nous avouerons que notre émotion devant elles vient des choses, non du ciel, mais de la terre. Et une des causes vraies, des causes facilement véritables, qui rendent si peu émouvants les tableaux religieux des derniers siècles, c’est qu’ils ne contiennent plus de figures de donateurs, c’est-à-dire de ces réalités toutes profanes, parfois vulgaires, mais qu’une lumière intérieure venait ennoblir. De nos jours encore, le phénomène s’est vérifié : Ary Scheffer n’a rien touché des fibres de la conscience chrétienne avec son grand diable tentateur sur la montagne ; il y est parvenu, au contraire, aisément avec sa vision tout humaine, — encore que ce soit un bien pauvre tableau ! — du dernier entretien de saint Augustin et de sainte Monique. Plus