Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/592

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’histoire ? Il en est certainement et nous ne pouvons plus supporter de violents anachronismes. La prétention qu’eurent certains peintres, il y a quelque trente ans, de les dérouler au milieu de nos faubourgs et sous des costumes modernes a pu, un instant, piquer l’attention, elle n’a pas conquis les âmes. Et, au contraire, l’énorme succès des « restitutions » historiques et ethnographiques de James Tissot, depuis, a démontré que la foule des pieuses gens était dévorée d’une curiosité avide touchant les paysages, les figures, les costumes, les mœurs de ce coin d’Orient où a été prêchée la Bonne Nouvelle. Mais tout le tourisme, la défroque et le bric-à-brac de la couleur locale ne suffisent pas à révéler, — et ils y seraient peut-être même, parfois, un encombrement et un obstacle, — que cette Bonne Nouvelle a été prêchée pour tous les hommes, sous toutes les latitudes, et à travers tous les temps. Dès qu’on la situe trop exactement dans l’un d’eux, on fait tort aux autres. C’est une scène de genre orientale, ce n’est pas une page de l’Evangile. Le type sémite trop accentué chez la Vierge et chez le Christ choque nettement les fidèles. Il en a choqué quelques-uns, quoique très atténué, dans la célèbre Vierge d’Hébert. Puis, il faut tenir compte de la tradition. Depuis des siècles, les Notre-Dame de nos cathédrales et les Madones de nos musées ont déposé à notre insu, dans nos imaginations, les éléments d’un type dont on ne peut s’écarter en créant une nouvelle figure de la Vierge, sans qu’on dise : « Ce n’est pas elle ! » Quoique différentes les unes des autres, ces milliers de figures consacrées ont certains traits communs qui se superposent, dans notre mémoire visuelle, tandis que les autres traits, les traits différentiels, se brouillent mutuellement et s’effacent, — comme il arrive quand on obtient en photographie le « type de famille. » Il n’est pas possible de n’en pas tenir compte, quand on veut évoquer, à première vue, tout l’invisible cortège de sentiments, d’espoir, de vœux et de prières qui font d’une figure humaine, une incarnation de la sainteté ou de la divinité. Ainsi, grâce aux exigences de l’esprit critique, il est déjà difficile au peintre contemporain de faire un tableau d’histoire. Qu’est-ce donc, si à la difficulté inhérente à tout tableau d’histoire s’ajoutent des scrupules d’ordre religieux !