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que nos pères. Si les Vierges de Raphaël apparaissaient chez nous, pour la première fois, on leur reprocherait de n’avoir rien de mystique, et si c’étaient les Passions des Primitifs, leurs anachronismes feraient sourire. Un de ces beaux saints Sébastiens, à peine effleurés par les flèches, où l’homme de la Renaissance s’est complu comme au miroir de ses perfections plastiques, — qu’en dirions-nous, s’il était moderne ? Que ce n’est point une image qui incline à la piété et nul chapitre n’en voudrait pour sa cathédrale. Pas davantage, nous ne reconnaîtrions une Madone dans la mère que Rubens nous montre recevant les Rois Mages, mais seulement une Reine régente, agréant pour son fils les hommages de ses sujets. Quant à la figure du Christ, que Léonard de Vinci déclarait ne pouvoir peindre sans trembler, quels traits lui donner qui ne déchaînent aucune critique ? Tout caractère un peu accentué souligne un penchant particulier de la nature humaine, et tout penchant particulier de la nature humaine diminue la perfection divine. Alors, on efface, un à un, chacun des traits particuliers, et l’on arrive à ce type impersonnel de beauté froide et morne où l’école d’Overbeck a cru réaliser la norme de la divinité, — celle qui remplit nos images pieuses.

Mais alors, la critique moderne proteste encore et se refuse à voir sous ce masque doucereux et inexpressif, l’âme héroïque et ardente qui sauva les hommes par la parole, par l’action et par le martyre. Ce martyre même est devenu impossible à figurer sans soulever des protestations. On se rappelle peut-être encore celles qui accueillirent, jadis, le Christ de M. Bonnat : c’était, disait-on, une étude anatomique, un cadavre, non un Dieu expirant. Mais tout aussi violentes seraient les critiques, si un artiste s’avisait de nous montrer, chez un mourant torturé par le supplice du brisement des muscles, la rupture des os et la soif, une expression de béatitude et de douceur manifestement inaccessible à la physionomie humaine, dans un tel moment. On ne veut voir, sur la croix, ni le calme du Dieu grec, ni les affres du supplice. L’artiste ne raisonne pas toujours, ni ne met en équation, ces difficultés de sa lâche, mais il les sent confusément. C’est pourquoi il a pris le parti de ne plus rien faire.

Même achoppement, s’il s’agit des scènes familières de l’Évangile. L’Evangile est-il de l’histoire et n’est-il que de