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IV. — le français et l’anglais

Contrairement à toutes les traditions, en effet, les négociations pour la paix ont eu lieu en anglais. Ni le chef de la délégation anglaise, ni le chef de la délégation américaine, ne connaissaient suffisamment « la langue diplomatique de l’Europe » pour se servir d’elle avec aisance ; le chef de la délégation française parlait l’anglais ; seul le représentant de l’Italie parlait le français. Quand celui-ci fut remplacé par un autre délégué qui parlait l’anglais, lui aussi, le français fut décidément banni des conversations entre les arbitres de la paix. Par malveillance ? dans le dessein avoué de nous humilier ? Non point, assurément ; ce serait faire injure aux représentants des grandes puissances alliées que de le supposer ; d’ailleurs on était encore à l’époque où on reconnaissait volontiers à la France le prestige moral de la victoire. À l’emploi de l’anglais, tous étaient intéressés, en somme. Les négociateurs n’étaient pas des diplomates ; la scène a été constamment occupée par des hommes politiques, par des hommes nouveaux, pour qui le français comptait moins ou ne comptait pas ; le représentant de l’Angleterre connaissait mieux la Bible, et le cœur de l’homme, que les grammaires ; le représentant de l’Amérique n’avait pas l’usage de l’Europe. Le représentant de la France, en leur parlant sans interprète, pouvait espérer qu’il exercerait sur eux une action personnelle, utile à son pays. On voulait faire vite ; on adopta, sans y regarder de trop près et par la force des circonstances, le moyen qui permettait de s’entendre directement.

Seulement, cette première violation de notre privilège en entraîna une autre, plus grave. À mesure qu’on discutait, on rédigeait ; puisque l’anglais devenait la langue des conversations diplomatiques, il devint la langue de la rédaction des textes : il risqua d’éliminer le français du traité. En vain le Président de la République avait revendiqué cette part du patrimoine national, avait rappelé les raisons de l’usage séculaire de notre langue, « dû en grande partie sans doute, disait-il, à ses qualités intrinsèques, à la précision des termes, à la sûreté du sens, à la qualité de l’ordre direct, à une démarche grammaticale qui se règle sur la pensée : sans