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les élèves à la littérature et à la langue germaniques. Conquête lente et difficile, mais effort tenace, qu’illuminait la splendeur croissante du grand Empire allemand.

La victoire a changé de camp, tout est renversé, et il s’écoulera beaucoup de temps sans doute, avant qu’on aille demander des leçons d’allemand aux maîtres de Berlin. Ils ont perdu la partie, alors qu’ils avaient pris soin de préciser eux-mêmes l’enjeu. On a signalé, dans ce sens, l’intérêt d’une brochure publiée en 1917 par un professeur allemand, qui se croyait bien sûr alors du triomphe de son pays. Deutsch gegen französisch, écrivait-il : l’allemand contre le français. Pour former une génération plus allemande que les Allemands même, non pas « une génération de nains, » mais une génération qui « par des prairies d’or, s’avance vers la nouvelle terre, vers une terre de succès, de fortune et de prospérité politique, » il faut faire plus de place à l’enseignement vraiment germanique et élaguer des programmes les matières accessoires, comme le français : le français, langue inutile en temps de guerre, et superflue en temps de paix ; appelée à disparaître des pays étrangers où on la parle encore, pour faire place à la langue du vainqueur ; insolente, capable d’appeler les Allemands des « Boches ; » bien digne d’un peuple perfide, qui n’a jamais voulu reconnaître les bontés extrêmes qu’on avait pour lui. À son aise ; laissons ce pédagogue en furie juger le français comme il l’entend : nous n’en souffrirons pas beaucoup. Mais voici une idée et des termes qu’il convient de retenir : « Le peuple de France n’a pas plus de valeur mondiale que sa langue. Si nous, Allemands, nous reconnaissons encore après la guerre actuelle que le français est un élément nécessaire de notre culture, nous avons perdu la guerre, nous étendons sous les pieds de notre ennemi mortel un tapis sur lequel il pourra se relever ; nous sommes jugés aux yeux des nations ; nous méritons d’être appelés des barbares recouverts d’un vernis français ; et puisque nous-mêmes nous nous estimons si peu, les étrangers ne peuvent nous juger autrement. Mais si nous balayons le français de nos écoles ; si nous le balayons de l’Allemagne et par-là, peut-être, de mainte autre contrée, nous mettons les Français à la place qui répond aux circonstances réelles… » Il s’agissait donc d’éliminer la langue française, considérée à la fois dans sa valeur humaine