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déclarait que « comme langue universelle, jouant le même rôle dans l’univers que le latin jadis et le français ensuite, » l’allemand « est aujourd’hui le premier instrument des congrès politiques et scientifiques de notre époque. » Elle ajoutait même : « Combien d’hommes d’État et de savants pourraient dire ce que répétait le Pape Pie X : linguam gallicam non novi ! » On le voit, elle tirait parti de tout, suivant son habitude. Rêve trop ambitieux sans doute, que d’arriver à l’hégémonie du langage : au moins s’efforçait-elle de combattre le français partout où elle le rencontrait. Elle le rencontrait en Alsace : et Dieu sait la guerre sauvage et maladroite qu’elle lui faisait ! Elle le rencontrait en Orient, si fort qu’elle était souvent obligée de le parler elle-même : mais en même temps, elle le minait. Elle inondait le monde de ses professeurs en même temps que de ses commerçants ; les professeurs faisaient plus que d’exporter leur culture : ils accaparaient l’enseignement du français ; dans les universités étrangères, la plupart des chaires d’ancien français étaient entre leurs mains. Rien n’est plus curieux à suivre que leur politique scolaire dans un pays comme l’Espagne. Partout où fonctionnait une école française, on voyait apparaître une école allemande mieux dotée, luxueusement construite, fournie d’un matériel flambant neuf, qui eût aussitôt triomphé par comparaison, n’eût été l’enseignement lui-même. Partout où un maître allemand avait chance de s’introduire, il se présentait chapeau bas, il se faisait tout petit, il s’insinuait plutôt qu’il n’entrait ; il se contentait d’un salaire ridiculement modeste. Puis il prenait pied, il vantait la grandeur allemande, la force allemande : il oubliait seulement de dire qu’il passait à la caisse de son consulat, pour compléter son traitement. Chose inouïe : quand la guerre a rappelé en France nos professeurs mobilisés, et que nombre d’Allemands se sont vus empêchés de regagner leur pays, ils ont occupé les places vides : on imagine de quels commentaires ils accompagnaient leurs leçons de français !

Il y a toujours une clientèle qui vient à la suite du succès ; cette clientèle-là nous avait abandonnés, pour se tourner vers les vainqueurs de 1870. Les missions scientifiques suivaient de près les missions militaires, dans les pays éblouis par le prestige de la force ; et, tandis que les officiers initiaient les soldats aux beautés du pas de parade, les professeurs initiaient