Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/532

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
530
revue des deux mondes.

veau gouvernement ; il déclare devant trois témoins : « qu’aujourd’hui la troupe tenait encore et que nous étions dans une situation honorable, mais qu’une percée pourrait survenir à tout instant et que notre offre de paix arriverait alors au moment le plus défavorable ; qu’il aurait la sensation de se livrer à un jeu de hasard ; qu’à tout instant et en n’importe quel point une division pourrait manquer à son devoir. » — « J’ai l’impression qu’on a perdu ici tout sang-froid, » remarque l’agent de liaison du ministre, qui en prend bien à son aise.

Le Kaiser pense que la démarche doit être faite par le nouveau gouvernement. Le gouvernement cherche à calmer le Haut Commandement par télégramme : « Nouveau gouvernement formé vraisemblablement aujourd’hui 1er octobre pendant la nuit. Offre pourra être envoyée cette nuit même. Situation militaire est moyen de pression le plus fort vis-à-vis des partis déraisonnables et exigeants. » Mais Ludendorff reste angoissé. Il demande que l’offre de paix soit envoyée, non seulement à l’Amérique, mais aux autres puissances ennemies ; il désigne à l’avance la commission d’armistice ; il faut tout faire pour que l’Entente reçoive la note le plus rapidement possible : « L’armée ne peut plus attendre quarante-huit heures. » Il prévoit tous les détails, même la transmission par le poste de T. S. F. de Nauen, qui communiquera par Berne avec le gouvernement suisse.

Le 2 octobre, un officier de l’État-major général vient au Reichstag faire aux chefs de partis un exposé de la situation : il leur révèle l’impossibilité de gagner la guerre et la nécessité de hâter les négociations de paix, Ludendorff s’étonne bien à tort de la consternation générale que produisirent ces révélations au Reichstag et dans le public ; il avait longtemps manié une opinion docile et naïve qui, grâce aux affirmations des chefs militaires, croyait toujours à la victoire malgré les plus évidentes défaites ; l’Allemagne apprend, de la bouche même dont doit sortir toute vérité, qu’elle est vaincue. C’est la situation d’un patient qui se réveillerait sous le chloroforme au milieu d’une opération très grave dont on lui aurait caché l’exécution. Ludendorff s’impatiente et réclame impérieusement communication de la note de paix. « Comme on a dit que le Grand Quartier Général approuvait le contenu complet de la note, je demande qu’elle me soit communiquée avant son envoi, pour que je