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sa lumière. À ces Juifs obstinés à croire que l’impossible n’existe pas et que, d’une manière ou d’une autre, on peut tout obtenir des hommes ou de Dieu, ils apparaissent comme des agents, des sortes de courtiers célestes, les soutiens naturels de leurs plus vastes espoirs, de leurs rêves les plus insensés ou de leurs plus médiocres desseins. À ces enfants du ghetto (cinq ou six millions peut-être) perdus dans l’immense troupeau russe, ils apportent le sentiment d’une puissance inégalable, et l’assurance qu’en dépit de leur faiblesse apparente, les Juifs n’en sont pas moins les plus forts, puisqu’ils ont sous la main ces intercesseurs tout-puissants, qui dans les pires déboires sauront, au moment nécessaire, obtenir de l’Eternel le remède infaillible à tous leurs maux. Bref, ces étonnants personnages sont la forme vivante de l’orgueil d’Israël et de sa foi d’ans l’impossible ; ils répondent à cet appétit mystique, à ce goût du miracle qui fit jadis la fortune du Voiturier des Carpathes ; et leur force s’alimente au plus profond génie d’une race qui, de temps immémorial, a toujours prétendu confondre ses destins avec ceux de Dieu lui-même.

La demeure du Rabbin Miraculeux occupe à Schwarzé Témé, au bout de la grande rue, un espace de plusieurs hectares, entouré de palissades de bois artistement travaillées. En bordure d’un verger, s’élève sa maison, longue bâtisse sans étage, au toit de tôle peint en vert. A côté, d’autres bâtisses pareilles, pour ses enfants et ses petits-enfants, pour les quêteurs qui s’en vont recueillir les offrandes d’une Communauté à l’autre, pour les pèlerins qui, aux jours d’affluence, ne trouvent plus à se loger dans les auberges de la ville, et aussi d’immenses cuisines où se prépare la nourriture des grands banquets du samedi. Du côté de la rue, la synagogue, le bain rituel et le bethamidrasch[1] ferment le cercle de ces bâtiments qu’on appelle la cour du Zadik. Et tout le long de l’année, du matin jusqu’au soir, tous les regards, toutes les pensées de la Communauté sainte sont tournés vers cet enclos.

Ni par son intelligence, ni par son aspect extérieur, le Rabbin de Schwarzé Témé n’avait rien qui fût remarquable. C’était un mince petit vieillard, prodigieusement effacé, jaune, chétif, les pommettes saillantes, avec un air de Mongol, et qui

  1. Bibliothèque de livres sacres.