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sur le tonnage, concessions sur le charbon, concessions sur le désarmement. Déjà, un chef d’orchestre invisible tâche d’accorder l’opinion universelle au diapason du forfait; déjà, l’Allemagne a trouvé le moyen d’échapper jusqu’ici à la livraison de sa flotte de commerce, et nos amis anglais, qui sont, à cet endroit, plus sensibles qu’à d’autres, commencent à trouver qu’avoir seulement reçu, depuis la ratification du traité, sept navires au-dessus de seize cents tonnes et n’en avoir pas reçu un seul jaugeant de mille à seize cents tonnes, c’est éprouver une déception un peu forte ; déjà, la presse allemande cherche à réveiller, à propos du charbon, la question de la Haute Silésie ; déjà recommencent les lamentations sur l’insuffisance des effectifs militaires.

C’est toujours sur les réparations que porte le plus gros effort de réduction. Voici maintenant qu’on jette dans la circulation l’idée d’un nombre fixe d’annuités, qui est une forme à peine déguisée du forfait et qui équivaut, par conséquent, à une révision du traité; et l’on nous propose même, pour nous allécher, des chiffres précis : trente annuités, par exemple, de trois milliards de marks or chacune. Cette combinaison ferait peser sur chaque tête d’habitant, en Allemagne, une somme annuelle d’environ soixante et un francs en or : charge inférieure à celle qu’imposerait à nos compatriotes notre dette en monnaies étrangères. Rappelons-nous, en effet, que cette dette française, contractée tout entière, au cours des hostilités, pour les besoins de notre défense nationale, et donc par la faute de l’Allemagne, s’élève approximativement à un chiffre de trente-cinq milliards de francs or. Pour l’amortir en trente ans au taux de six pour cent, il faudrait une annuité de deux milliards cinq cent quarante-deux millions, qui représenterait une charge annuelle de soixante-sept francs par tête d’habitant. Ainsi, ce qu’on nous demande, c’est que le sort du pays vaincu soit plus favorisé que celui du pays vainqueur: étranges aberrations de la pitié !

Trente annuités de trois milliards de marks or n’ont d’ailleurs, au taux de six pour cent, qu’une valeur actuelle de quarante et un milliards deux cent quatre-vingt-quatorze millions. Nous serions loin des cent milliards marks or minimum, dont soixante à émettre immédiatement, que l’Allemagne a, dans le traité, reconnu devoir aux Alliés. Nous serions même loin des propositions spontanées que formulait l’Allemagne, pendant les négociations de paix, et qu’il est aisé de retrouver, soit dans la lettre adressée le 29 mai 1919, par M. de Brockdorff Rantzau à M. Clemenceau, Président de la Conférence,