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l’inconnu, elle le trouve le front dans les mains et pleurant à gros sanglots sur un petit portrait de Louis XVI, peint sur soie, qu’il a décroché du mur. La bonne femme s’étonne : aurait-il connu le Roi ? Ses parents ont-ils servi ce malheureux prince ? Hervagault ne peut parler ; les larmes l’étouffent. M. Boizard paraît à ce moment : il se renseigne, reproche à sa femme d’avoir été trop confiante, et il interroge le jeune homme qu’elle a inconsidérément accueilli. — A-t-il seulement des papiers ? — Le malheureux tire de sa poche sa feuille de route. Comment ! il sort de Bicêtre ! Et pour quelle faute a-t-il été emprisonné ? Ses parents vivent-ils encore ? — À ces questions, le vagabond ne répond que par des pleurs. Les Boizard, émus autant qu’intrigués, braves gens, du reste, royalistes et charitables, supposent que leur visiteur appartient à quelque noble famille émigrée ; n’ayant pas le courage de renvoyer ce garçon à l’air si honnête et si doux, ils offrent de le loger pour la nuit, espérant en apprendre plus long le lendemain ; mais ils n’obtiennent aucune confidence, leur hôte se bornant à répéter qu’il est « un enfant du malheur » et priant « qu’on le conduise hors de Paris et qu’on le laisse là, sans plus s’occuper de lui. » Le voyant faible et souffrant, le pâtissier et sa femme n’ont point de peine à le retenir jusqu’à ce qu’il soit en état de partir ; ils lui procurent des vêtements convenables, le conduisent à l’Opéra et aux Variétés, se montrent pleins d’attentions et de prévenances à l’égard de cet abandonné, ne doutant plus, à l’observer de près, qu’il ne soit « l’enfant d’un très grand seigneur. » Tourmenté de questions, il finit par déclarer qu’il est le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, suppliant qu’on lui garde le secret : « J’ai peur d’être arrêté, dit-il, j’ai déjà été si malheureux ! »

Quel émoi pour ces boutiquiers parisiens qui avaient vécu au temps du bon Roi et de la belle Reine ! Ils hébergeaient dans leur chambre le blond Dauphin de Trianon, l’enfant de la tragique légende, le pupille de l’odieux Simon ! Ils en étaient si ébahis et troublés qu’ils redoutaient d’être détrompés, ne se lassant pas d’interroger « le prince, » de l’entendre raconter ses souvenirs des Tuileries, de Varennes et du Temple. Pas un personnage de l’ancienne cour qu’il ne connût ; il se rappelait les noms de certains commissaires qui, à la prison, avaient gardé la famille royale, et il s’informait de leur sort. N’y tenant