Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son fils, si seulement la gendarmerie se chargeait de le lui ramener de brigade en brigade jusqu’à Caen.

On aurait scrupule à compliquer un imbroglio par lui-même suffisamment troublant ; mais on se demande comment, en apprenant qu’un enfant de treize ans et demi, vêtu d’une veste de nankin, a été arrêté à Châlons, le père Hervagault put deviner qu’il s’agissait de son fils, alors dans sa dix-huitième année, et qui avait quitté Saint-Lô, couvert d’une vieille houppelande bleue. On ne discerne pas davantage par quel procédé le ministre, — à moins qu’il fût doué de la double vue, ce qui n’était pas, certes ! le cas de Dondeau, — s’adressa précisément à Saint-Lô pour être fixé sur l’identité d’un enfant emprisonné dans la Marne. S’était-il donc enquis auprès de tous les commissaires de police de France ? Ou bien le père Hervagault avait-il entrepris de son côté quelque recherche qui donna l’éveil à l’autorité ? Non, bien certainement, car on en retrouverait trace soit dans les archives locales, soit dans celles du ministère. L’intervention du tailleur de Saint-Lô parut, dès l’abord, si peu fondée, que le ministre mettait en garde les magistrats châlonnais contre une collusion probable. En attendant, ordre était donné de veiller à ce que le prisonnier fût « sévèrement surveillé. »

Or, aucune plainte n’était déposée contre lui ; il n’avait lésé personne, ses fournisseurs refusant d’être payés ; l’apothicaire Melchior renonçait bénévolement aux sommes qui lui étaient dues, « parce que, disait-il, ce jeune homme a bon caractère. » Hyacinthe, qui avait fourni les vêtements, la dame Saignes qui avait meublé le cachot, protestaient ne plus se rappeler le chiffre, de leurs débours, et le concierge Vallet lui-même ne réclamait pas un décime de ses 2 400 livres d’avances, protestant qu’il conserverait toujours, pour son prisonnier, « beaucoup d’amitié. » Vallet fut révoqué de ses fonctions et perdit sa place pour ce beau mouvement, unique, assurément, dans les annales de l’administration pénitentiaire ; quant aux autres, en apprenant que « leur prince » était le fils d’un petit tailleur normand, après un court moment d’effarement, ils avaient senti redoubler leur foi en sa royale origine : il était pour eux de toute évidence que le Dauphin évadé du Temple avait été remplacé dans sa prison par un autre enfant dont le fils de Louis XVI avait dû adopter la personnalité : Hervagault,