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mais suffisant dont nul n’avait strictement le droit de se scandaliser ; d’autant que cinq autres enfants suivirent en quelques années, bien que le duc de Valentinois eût depuis longtemps cessé de s’intéresser à leur mère.

C’était ce petit Jean-Marie Hervagault qui, en 1796, à quinze ans, déserta la maison paternelle : le goût des aventures le poussait-il à cette escapade ? S’avisa-t-il d’une préférence marquée par le père Hervagault pour ses autres enfants ? Peut-on supposer qu’une indiscrétion l’avait instruit des bruits naguère répandus au sujet de sa naissance ? Il y a bien des énigmes à l’origine de ses aventures, et quoiqu’on ait prétendu en avoir percé le mystère, toutes, on le verra, ne sont pas résolues. Il faut d’abord signaler l’insouciance singulière du tailleur Hervagault, à l’égard de l’aîné de ses enfants : Jean-Marie est évidemment peu surveillé ; il n’est guère heureux dans la maison de son père, puisqu’il s’en éloigne si facilement et si volontiers. À peine la gendarmerie départementale l’a-t-elle ramené à Saint-Lô, qu’il s’échappe de nouveau : il se dirige, cette fois, vers le Calvados, espérant peut-être gagner Trouville et le Havre. Il avait pris, — où ? — des vêtements de fille, mais confiait à tout venant qu’il avait adopté ce déguisement pour mieux dépister les poursuites et pour faciliter son passage en Angleterre. Dans les châteaux où il se présentait, il disait être le fils du duc d’Ursel, gendre du roi de Portugal ; ailleurs il s’attribuait pour père le prince de Monaco, ce qui tendrait à prouver que quelqu’un, — sa mère peut-être, — lui avait révélé le secret de sa naissance. Ce qui surprend, c’est sa connaissance des noms et des alliances de la plus haute noblesse de France. Bientôt il laissera entendre que des liens de parenté l’unissent à Louis XVI, à la reine Marie-Antoinette, à Joseph II d’Autriche… Partout, il rencontre bon accueil ; on l’assiste, on lui fournit des subsides, et c’est ainsi qu’il arrive jusqu’à Hotot, dans le pays d’Auge. Là il fut arrêté, conduit chez le juge de paix et envoyé à la prison de Bayeux où le père Hervagault, averti de son incarcération, vint le réclamer et le ramena avec lui à Saint-Lô. On était au printemps de 1797.

Quoique les magistrats eussent recommandé au tailleur de surveiller étroitement son fils, celui-ci ne put se plier à la vie étroite et monotone de la maison paternelle : au début de 1798, le voilà de nouveau en route ; il porte un vieil habit bleu, un