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rapproché du Seigneur, mais de cette façon indiscrète, qui ne connaît ni le goût ni la mesure.

Avez-vous vu par hasard, dans une petite ville de Pologne, un Juif au matin de la journée ? Il est là, inoccupé, les bras ballants, l’esprit, vide, devant les douze heures du jour qui menacent de le submerger. Oui, que faire ? Partout des Juifs qui tiennent déjà leur épave ou qui cherchent des yeux, comme lui, ce qu’ils vont bien pouvoir saisir. Mais une idée lui vient-elle, on ne sait d’où, on ne sait comment, folle ou raisonnable, qu’importe (on en fera toujours quelque chose ! ) déjà ses pieds se sont mis en mouvement ; plus de repos, plus de répit ! les douze heures du jour sont trop courtes pour son activité forcenée.

Parce que le Bal chem avait dit : « Il faut prier Dieu dans la joie ! » on se mit, dans les synagogues, à prier en claquant des doigts avec un bruit de castagnettes, à se balancer d’avant en arrière et d’arrière en avant, pour que le corps tout entier participât à l’invocation divine, à danser, à chanter, à remplir l’air du Saint Lieu de la fumée des pipes et de l’odeur des banquets ; et par l’agitation, le bruit, li prière, l’abstinence et la ripaille, l’âme enfin libérée du corps contemplait Dieu face à face… Mais comme au vieux Peuple du Livre, il faudra toujours un livre, pour exalter son esprit et soutenir son enthousiasme, ces Juifs n’abandonnèrent le Talmud et son vieux labyrinthe, où ils erraient depuis des siècles en quête des chemins du ciel, que pour se jeter à corps perdu dans les folies d’un plus extravagant grimoire.

Là était venu échouer tout le fatras des pensées que, depuis le fond des siècles, Israël traînait avec lui, — vieux rêves de Chaldée et de Babylonie, imaginations de la Perse, échos de Pythagore, de Platon, d’Aristote, lambeaux d’idées chrétiennes et de spéculations arabes ; abstractions les plus hautes de la Philosophie et formes les plus primitives des superstitions populaires ; physique et métaphysique, magie, astrologie, médecine et chiromancie ; perles sombres, diamants et cailloux ; idées, ombres d’idées, et jusqu’aux reflets de ces ombres. Tout cela ramassé au hasard de la route, avec l’avidité qu’ont ces Juifs à saisir de la main ou de l’esprit ce qui passe à leur portée, — et aussi avec l’inquiétude de toucher à l’arbre de science défendu par l’Eternel. Tout cela transformé, trituré, amalgamé,