Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Douleur de mère, intarissable blessure du plus pur amour qui soit : il n’en est point que ce poète de l’énergie et de la volonté intérieure ait dite plus pathétiquement. Dans Les Enfants, où le deuil est sans larmes et s’irrite, on pouvait reconnaître la plainte sombre et tendue de l’homme. Dans la gémissante lamentation qui monte, un matin de Noël, où la souffrance est toute pure, sans amertume ni reproche, n’est-ce pas un cœur féminin, celui d’une mère dont le fils est mort, disparu, qui s’affaisse et se désole ?


L’enfant fut couché dans la crèche, — entre l’âne et le bœuf si doux, — tout à l’abri du froid, et du danger. — « Il n’en fut pas ainsi du mien — (du mien ! du mien ! )

« Tout est-il bien pour l’enfant ? Tout est-il bien ? » — suppliait l’anxieuse mère.[1] — « J’ignore où il est tombé, et je ne sais pas où on l’a mis. »

Une Etoile parut dans le ciel, — les Bergers ont couru pour voir — le Signe de la Promesse. — « Mais nul signe ne vient pour moi. — (Pour moi ! pour moi ! )

« Mon enfant est mort dans le noir. — Tout est-il bien pour l’enfant ? tout est-il bien ? — Personne n’était là pour le soigner ni pour le voir, — et je ne sais pas comment il est tombé. »

La Croix fut dressée sur la colline ; — la Mère pleurait à côté. — « Mais la Mère l’a vu mourir, et ses bras l’ont reçu quand il est mort. (Il est mort ! Il est mort ! )

« Pur, et suivant le rite, — son sépulcre fut creusé, — Tout est-il bien pour mon enfant ? — Car je ne sais pas où on l’a mis… »


Déchirante plainte, si simple, avec par-dessous, les poignantes résonances, la frémissante angoisse de certains mois qui se répètent en cette âme transpercée. Nous avons entendu passer bien des timbres, déjà, dans la poésie de Kipling, mais aucun qui ressemble à celui-là. Ces vers, — je parle de l’original, — nous pénètrent, nous traversent, comme les longues notes du violon le plus sensible. Même pureté, même presque insupportable intensité dans l’expression de la douleur, une douleur qui tient ici de la désespérance ; même pouvoir à dire l’indicible. Seulement, la désespérance n’est pas le dernier mot. L’idée qui commanda le sacrifice a résisté au sacrifice, et relève

  1. Mot de la Bible (Rois, II, 4, 26), souvent gravé sur les tombes anglaises. L’envoyé d’Elisée demande à la Sunnamite des nouvelles de son fils : » Tout est-il bien pour l’enfant ? » La mère répond : « Tout est bien. » Or l’enfant est mort.