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pas reconnaître que les vieilles étoiles s’éteignent, que de nouveaux astres surgissent ; » — les Réformateurs, au contraire, ceux qui voient le réel, « la base éternelle des faits qui portent notre destin, » ceux qui ne mettent pas les mots au-dessus des choses, qui se détournent des idoles de leur nation, et regardent, annoncent les nécessités. Et les Insulaires, c’est le peuple dont la vue ne dépasse pas les bords de son île, qui vit dans l’illusion, qui croit aux mensonges de ses bergers, qui refuse une année de service à son pays — « pays de vie si ancienne, régulière, si longtemps assurée, qu’il l’imagine éternel comme les montagnes. »


« Mais il est œuvre des hommes, non des dieux ; et des hommes, non les dieux, doivent le défendre : — ses hommes, non ses enfants et serviteurs, non ses parents de l’autre côté des mers, — chacun de ses hommes, né dans l’île, rompu au jeu de la guerre, — régulièrement, traditionnellement dressé dans sa jeunesse. — Ainsi serez-vous gardé quand éclateront les foudres — au sein de l’obscur nuage de guerre, et que trembleront les nations pâlissantes. — Ainsi, au cri hagard des trompettes, jaillira d’un seul coup votre âme — rapide, tout équipée, prête à l’acte, alerte hors des souterrains du sommeil. — Mais, dites-vous : « Notre aise en sera diminuée ; » et, dites-vous encore : « Notre commerce en pâtira. » — Attendez-vous l’éclatement du shrapnell pour apprendre à pointer un canon ? — la basse, rouge lueur dans le Sud, où le raid de l’ennemi jettera le feu sur vos villes côtières ? — (De la lumière, cette leçon-là vous en donnera, mais peu de temps pour l’apprendre.)… — Sont-ce les lapins de vos parcs qui combattront vos ennemis ? vos rouges chevreuils qui les repousseront de leurs cornes ? — vos faisans bien gardés qui vous garderont ? ils sont maîtres de maints comtés. — Ou bien est-ce à coups de sermons, de brochures et bulletins de vote que vous les rejetterez à la mer ? — Vos ouvriers publieront-ils un manifeste leur commandant de ne plus frapper ? — Vous lèverez-vous alors pour jeter à bas ceux qui vous gouvernent (l’insolence châtiée par l’orgueil, l’indolence purgée par la paresse)…

Nul doute que vous ne soyez le Peuple, souverain, fort et sage ; — rien de ce que votre cœur a désiré, vous ne l’avez éloigné de vos yeux. — Sur vos propres têtes, dans vos propres mains, sont le péché et le salut !


Les Anglais qui relisent aujourd’hui ces poèmes s’en émeuvent. Si impérieux que fût l’avertissement, en 1902, lorsque John Bull trouvait ces vers dans son Times en s’asseyant devant ses œufs et son thé du matin, il passait aux nouvelles