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divers de la même idée. C’est La Bouée à Cloche (1896), l’un des plus beaux et purement poétiques, qui dit (sans la dire) la mission propre de ce poète — non pas, avec les autres, de chanter et d’enchanter la vie des hommes comme les graves et douces cloches des clochers, mais de monter à la houle des tempêtes, et déclamer, clamer toujours l’invisible péril. C’est peut-être le poème intitulé la Vieille Querelle (1899), où une partie de l’allusion semble à l’Allemagne, au prince « qui se mettra au-dessus de la Loi en invoquant le Seigneur », et (souvenir de l’année précédente) « à ses capitaines qui nous bafouent dans les rues. » C’est, à coup sûr, toute la série de 1902, qui n’est qu’objurgations à une Angleterre engraissée et menacée.

Les Digues, d’abord, où s’évoquent les défenses élevées par la vigilance des ancêtres. Trop longtemps, à l’abri, loin de la rive, on a oublié la mer, on a négligé les défenses. Et la mer monte, la grande marée poussée dans la nuit par la tempête. Au dehors, elle « tourne et retourne les sables, elle rugit le long du mur, » et ses baves affleurent à la crête. En vain les signes du mauvais temps ont passé dans le ciel : rayons tourmentés qui meurent, reviennent, « sinistres lueurs dans de la cendre, rouge braise poussée de l’Ouest par le vent… Nous sommes abandonnés à la nuit, à la mer, à la tempête, à la marée qui, par derrière, montent ! »…


Par rangs de neuf, jusqu’en haut des digues, les galopantes vagues accourent, — et leur écume envolée est une mer, une mer qui s’épand à l’intérieur. — Avançant comme des étalons, elles piaffent de leurs sabots ; passant, elles arrachent de leurs dents, — tant que l’herbe, et l’ajonc, et le sable sont emportés, et les vieux soutiens de bois par-dessous !

Appelez les hommes ! qu’ils préparent le feu ! Du goudron, de l’huile, de l’étoupe ! — C’est de flamme à présent que nous aurons besoin, non de fumée si, dans la nuit, cèdent les talus rongés. — Que les sonneurs guettent dans les clochers (qui sait ce que sera l’aube ? ) — chacun sa corde entre les pieds, les tremblantes cloches au-dessus de lui !

Maintenant, nous ne pouvons qu’attendre le jour, attendre et mesurer notre honte. — Voilà les digues que nous ont laissées nos pères, et nous les avons négligées. — Combien et combien de fois nous les a-t-on rappelées, et combien de fois avons-nous remis ! — Peut-être avons-nous déjà tué nos fils, comme nous avons trahi nos pères !