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lui a réservé. O saint Rabbi, vous ne pouvez pas permettre que les méchants exécutent leur menace et profanent la sainte Thora mise par vos propres mains dans le saint tabernacle de notre Synagogue. Implorez l’Éternel Zébaoth. Qu’il leur brise les dents dans la bouche, qu’il les abatte de ses flèches, qu’il les rende comme la limace qui se dissout en rampant, ou semblables à l’avorton qui n’a pu voir le soleil.

« Celui qui se courbe humblement en tremblant devant votre Grandeur et votre Sainteté.

« Benjamin Eliézer. »


Cet appel angoissé arrivait chez le Zadik sur la fin de la journée. D’ici deux heures au plus tard, le soleil serait couché, et avec la première étoile allait commencer Schabouot[1]. À partir de cette minute il est expressément défendu de quitter la Communauté et de rien entreprendre qui ne soit consacré à l’Eternel. Reb Mosché eut juste le temps de faire atteler sa voiture et de se rendre chez le Comte, pour lui communiquer la lettre du Rabbin de Smiara.

— Eh bien ! dit le vieux seigneur avec sa bonne grâce habituelle, je vais demander qu’on nous envoie les Cosaques de Rimanovo, et vous ferez porter La dépêche.

Il jeta quelques mots sur le papier, pendant que le fils du Zadik se demandait, non sans perplexité, comment mettre en route un Juif pendant ces deux jours de fête, et quel Juif accepterait de se rendre à Smiara au milieu de l’incendie ! La crainte de paraître importun, et surtout son peu de confiance dans les domestiques chrétiens, l’empêchaient de communiquer son embarras au Comte. Avec mille remerciements il reçut la dépêche que celui-ci lui tendait, et fort perplexe, il reprit le chemin de Schwarzé Témé, où il trouva tous les notables réunis dans sa maison.

— Le Comte, leur dit-il en substance, m’a remis un télégramme pour faire venir les Cosaques. Mais comment envoyer cette dépêche à Smiara ? Je ne vois que Léïbélé qui puisse nous rendre ce service. Seulement, pouvons-nous, en conscience, le faire monter sur un cheval, maintenant que la fête est commencée ? Je vous le demande, dit-il, en se tournant vers le Grand

  1. Fête de la Pentecôte.