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russes ou les propriétaires moscovites. Aux uns, il reprochait leur propagande frénétique qui détruisait l’ordre social ; et aux autres, d’organiser systématiquement des massacres, pour détourner sur tous les Juifs les fureurs populaires que quelques-uns d’entre eux s’acharnaient à exciter. Et tandis qu’il faisait son petit cours d’histoire, il s’étonnait de la rapidité avec laquelle ce Reb Mosché, qui n’était jamais sorti de sa Communauté, le comprenait à mi-mot, l’obligeant à préciser les points délicats du problème ; et à part lui il se disait : « Demain, c’est ce fils de Zadik qui m’expliquera, mieux que je ne le fais en ce moment moi-même, ce qui se passe dans la Russie qu’il ignore. Un petit coup de pouce, et c’est cet enfant du Ghetto qui, sorti du Zohar et de sa synagogue, mènera le branle des choses et fera marcher la montre que j’essaie maladroitement de démonter devant lui.

— En somme, Reb Moselle, conclut-il, je crois que, pour l’instant nous n’avons ni vous, ni moi, rien à craindre. Mes paysans ne brûleront pas ma recolle, et à vous certainement ils ne veulent aucun mal. Mais il y a autour de nous des petites villes comme Smiara, avec leurs sucreries et les vagabonds qu’on y emploie. De ces gens-là on peut tout craindre. Inutile de vous dire que je suis à votre disposition et à celle de votre Communauté, pour faire en votre faveur tout ce qui sera en mon pouvoir.

C’était justement ces mots-là qu’attendait le porte-parole de la Communauté sainte.

— Je vous remercie, Pani Zavorsky, dit-il. Je voulais vous demander, vous qui connaissez le vice-gouverneur de Kiew… peut-être pourriez-vous obtenir… Enfin voilà ! Notre Communauté prendrait tous les frais à sa charge… Aurions-nous cent Cosaques à loger et à nourrir, nous les défraierions de tout, le temps qu’il serait nécessaire.

Le Comte ne put s’empêcher de sourire. Quille devait être leur angoisse, pour qu’ils vinssent lui demander d’introduire chez eux des Cosaques ! En même temps, dans son esprit se présentait la scène qui allait se passer non pas chez Timothée Bobrykine, le vice-gouverneur de Kiew, dont il était le condisciple et qu’il connaissait pour un esprit sceptique et libéral, mais chez Trépoff, le Gouverneur, homme violent, toujours sous l’empire de la colère et antisémite notoire, lorsque